1977 : gouvernement et parlement au chevet de l’architecture française

- par Eric Lengereau, architecte-urbaniste et historien de l’architecture. Transformons nos métiers !

Nous sommes en pleine campagne électorale pour la présidence de la République. Il reste moins d’un mois avant le premier tour et chacun perçoit que le pouvoir en place devra rendre son tablier. Les partis politiques et les équipes de campagne se mobilisent plus que jamais pour que leur candidat puisse l’emporter à l’issue de cette dernière ligne droite. Les nombreux déplacements s’organisent sur le territoire national. Les nombreuses rencontres médiatiques se succèdent sur les chaînes du petit écran. Les affrontements et les règlements de comptes sont bien entendu au rendez-vous. Dans tous les secteurs de la vie du pays s’expriment les arguments de réforme pour ce changement très attendu qu’exige un futur meilleur. Même dans les services de l’Etat, les acteurs les plus engagés sont à la manœuvre. Les hauts fonctionnaires sont sur la brèche. Ils apportent un soutien qu’ils espèrent décisif à tel ou tel programme électoral, à tel ou tel projet politique. Bref, tout le monde est sur le pont, au combat, dans l’attente de savoir qui prendra les commandes de la magistrature suprême au soir du second tour de cette élection présidentielle de… 1995. Il y a 22 ans presque jour pour jour. Parmi ces hauts fonctionnaires, certains ont la conviction que les politiques publiques du cadre de vie doivent évoluer rapidement et, parmi ces politiques publiques, il en est une qui ne doit surtout pas rester comme elle est. C’est celle de l’architecture. A leurs yeux, la politique de l’architecture n’a rien à faire au ministère de l’Equipement. Elle doit revenir au ministère de la Culture. A leurs yeux, l’architecture est une affaire culturelle et le ministère chargé de l’architecture ne peut être que celui de la rue de Valois.

Pour rendre possible et crédible ce transfert de la direction de l’Architecture, il faut assurément préparer les choses en amont, dans l’année qui précède la formation du nouveau gouvernement. Les acteurs de la haute fonction publique le savent mieux que quiconque puisqu’ils sont mobilisés dans la longue durée, dans cette stabilité bureaucratique de l’Etat qui voit se succéder les ministres les uns après les autres. Il serait bien trop fastidieux de détailler ici les étapes de cette préparation mais voilà, le résultat est là ! Au lendemain de l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République, dans le premier gouvernement d’Alain Juppé, il est procédé au transfert de cette politique de l’architecture. Elle quitte le ministère de l’Equipement pour rejoindre le ministère de la Culture, là où elle est encore un peu aujourd’hui, 22 ans plus tard.

Architecture et urbanisme au temps du gaullisme triomphant
Chers amis, je vous livre cette petite introduction pour souligner en premier lieu que l’histoire de la loi sur l’architecture de 1977 peut s’écrire de plusieurs manières et peut se lire de plusieurs manières. Dans certaines occasions, on peut comprendre cette histoire du point de vue du fonctionnement de l’Etat lorsque celui-ci se préoccupe de savoir s’il faut légiférer ou pas pour améliorer la qualité architecturale du cadre de vie des Français. La 21ème et dernière proposition exprimée ces jours-ci par le Conseil national de l’Ordre des architectes à l’attention des candidats à la présente élection présidentielle suggère la création d’une délégation interministérielle à l’Architecture et à l’Urbanisme. Cette proposition reprend les conclusions de la mission d’information sur la création architecturale présidée en 2014 par Patrick Bloche. Mais elle reprend surtout une volonté exprimée régulièrement depuis près de 60 ans, c’est à dire depuis les débuts de la Cinquième république, au moment où la France dite des Trente glorieuses est plongée dans les urgences de croissance démographique et de croissance urbaine.

Je sors une première fois du texte de mon intervention pour vous dire qu’elle intègre notamment les contenus de l’exposé que j’avais proposé le 11 janvier dernier à l’Académie d’architecture lors d’une journée d’étude organisée et publiée par le Comité d’histoire du ministère de la Culture avec la collaboration du Conseil national de l’Ordre des architectes. Elle était consacrée au quarantième anniversaire de la loi sur l’architecture de 1977.

La question que vous allez me poser est la suivante : existe-t-il vraiment un lien organique entre l’élaboration d’un projet de loi sur l’architecture et le positionnement de la politique de l’architecture dans l’appareil d’Etat ? Je vous réponds que oui. Et je vais même jusqu’à dire que la configuration des pouvoirs publics de l’aménagement de l’espace dans les années soixante a très largement contribué à faire naître le besoin d’une politique de l’architecture, avec ses outils juridiques et ses organes institutionnels que nous pratiquons encore aujourd’hui.

A l’heure du gaullisme triomphant qui entame une critique précoce et progressive des grands ensembles, la profession d’architecte est très fortement discréditée. Elle est coupable de tous les maux. On la rend responsable des erreurs les plus graves qui défigurent le territoire français. A mesure que la côte de popularité des architectes s’amenuise, chacun parie sur l’efficacité des bureaux d’étude qui deviennent les interlocuteurs privilégiés de la maîtrise d’ouvrage. Le pouvoir des ingénieurs s’impose et, pour l’immense défi des villes françaises, on peut facilement identifier le moment précis qui consacre la présence durable du corps des ingénieurs des ponts et chaussées dans le champ de l’urbanisme. Ce moment date du 8 janvier 1966 avec la création du ministère de l’Equipement, dans le troisième gouvernement de Georges Pompidou, au début du second mandat du général de Gaulle. Le modeste ministère des Travaux publics avec ses ingénieurs des ponts et chaussées prend d’assaut l’imposant ministère de la Construction avec ses milliards de francs du logement social. Sous l’autorité d’Edgard Pisani, le ministère de l’Equipement façonne cette fusion qui concentre la plupart des moyens et ressources de l’aménagement de l’espace sur le territoire de la République. Sous l’impulsion de Georges Pébereau, le corps des ponts et chaussées spécialisé jusqu’alors dans les ponts et les chaussées se lance à la conquête du pouvoir de l’urbain. Il procède à sa propre mue et c’est un succès : il assume donc le plein exercice de ce pouvoir de l’urbain. De fait, les politiques juridiques de l’urbanisme et les politiques techniques de la construction sont associées et les architectes sont loin. Ils sont très loin. La direction de l’Architecture de la rue de Valois est dans un autre monde. Elle est dans le paysage des politiques culturelles qui veulent offrir aux Français des maisons de la culture pour « rendre accessibles au plus grand nombre les oeuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France ». Elle est dans l’univers de ce ministère tout à fait original que le Général a confié à son « ami génial », André Malraux, ce complice de Le Corbusier qui inaugure la Maison de la culture d’Amiens le 19 mars 1966 par cette emphase qu’on lui connaît depuis toujours : « La psychologie des profondeurs nous a montré que ce sont infiniment plus les rêves qui possèdent les hommes et que les grands rêves sont beaucoup plus durables qu’une pauvre vie humaine ». Et puis « le génie découvre ce qui rôde dans l’âme des hommes et, l’ayant découvert une fois, il advient que, très souvent, il le découvre pour très longtemps ». Mes chers amis, c’est là qu’André Malraux nous invite à méditer…

Il y a bien sûr de nombreux architectes dans l’environnement immédiat du ministère de l’Equipement, mais ce sont les ténors de la profession qui se sont partagés le premier gâteau de la Reconstruction puis le second gâteau des grands ensembles. Ils appartiennent à la famille académique des Grands prix de Rome. Ce sont les architectes des bâtiments civils et palais nationaux, les BCPN, dont la commande est historiquement assurée par l’Etat. Ils sont le plus souvent architectes-conseils du ministère et ils sont aussi chefs d’ateliers à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts, Quai Malaquais à Paris, ou bien alors dans une de ses annexes de province, à quelques encablures des nouvelles ZUP dont ils ont reçu la charge opérationnelle. Mais maintenant ce temps-là est révolu : la très grande majorité de ces architectes est montrée du doigt et tout le monde est bien d’accord sur un point central : il n’est plus question de laisser à la profession d’architecte la responsabilité hégémonique de la formation d’architecte. Les événements de Mai 1968 se chargeront de bousculer cette tradition. La révolte interne des acteurs de l’enseignement de l’architecture se chargera du reste, sous l’oeil bienveillant de la rue de Valois.

Oui, 1966 est une date très importante parce que tout le monde comprend bien que les pouvoirs publics veulent changer de paradigme dans les modalités d’aménagement de l’espace. Ils veulent corriger la trajectoire des politiques publiques car l’échec des grands ensembles est patent. Il est pour longtemps l’échec du logement des Français et il est pour longtemps l’échec des villes françaises. Juste après l’euphorie d’un accès collectif au confort moderne, l’unanimité se forge inéluctablement dans le constat d’une urbanisation qui va dans l’impasse, qui va dans le mur. Pour réformer dans le bon sens, il convient donc de trouver la meilleure articulation possible entre les politiques publiques. On a réuni l’urbanisme et la construction. Il ne manque plus que l’architecture. Il faut absolument construire ce triangle vertueux et Edgard Pisani insiste à plusieurs reprises auprès d’André Malraux pour que la politique de l’architecture soit officiellement transférée au ministère de l’Equipement. Le 21 avril 1967, il s’adresse en ces termes à Georges Pompidou, son Premier ministre : « Il n’y a pas un urbanisme des ingénieurs et un urbanisme des architectes ou des sociologues, pas plus qu’il n’y a un urbanisme raffiné et un urbanisme économique. C’est seulement de la franche collaboration de tous que dépendra la réussite de l’urbanisme de notre pays ». Edgard Pisani reprend à son compte les multiples arguments de son cabinet qui démontre que rien ne justifie qu’urbanisme et architecture soient à ce point séparés l’un de l’autre. Voici encore les termes d’une des nombreuses notes rédigées au ministère de l’Equipement à destination de Matignon : « Il n’est pas douteux que l’urbanisme fournit l’environnement de l’architecture et l’architecture le contenu de l’urbanisme. Il est [seulement] regrettable que cette double constatation fournisse aux deux administrations concernées moins de motifs de coopération que de raisons de neutralisation mutuelle. La dualité des responsabilités ministérielles en matière d’architecture et en matière d’urbanisme entretient ce climat ».

Oui, 1966 est une date importante car elle donne le coup d’envoi d’un projet de loi qui a guidé l’urbanisme opérationnel de la France pendant 33 ans, jusqu’à la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) du 13 décembre 2000. Ce projet de loi, Edgard Pisani y tient comme à la prunelle de ses yeux. Il lui accorde un acronyme qui nous fait aujourd’hui sourire car c’est le PLOUF, comme « Projet de loi d’orientation urbaine et foncière ». Voilà l’ambition fondatrice du ministère de l’Equipement et du corps des ponts et chaussées ! Elle aboutit le 30 décembre 1967 au vote de la loi d’orientation foncière, la fameuse LOF, dont on va donc bientôt commémorer le cinquantième anniversaire. J’insiste avec vous sur la portée de cette loi parce qu’elle est à l’époque l’expression d’un vrai projet politique pour l’aménagement de l’espace français, un projet politique au sens très noble d’une vision pour le cadre de vie duquel l’architecture n’est évidemment pas absente. Avec ses SDAU et ses POS, la LOF n’a certes pas été la panacée mais la question foncière est néanmoins restée cet enjeu très considérable dont nous savons qu’il est toujours maintenu en dehors des priorités électorales du personnel politique français. Edgard Pisani le soulignera dix ans plus tard dans Utopie foncière, ce livre que je vous conseille très vivement et qui lui fait dire les mots suivants : « C’est par le problème foncier que j’ai pris le mieux conscience de tout ce qui me séparait de Georges Pompidou. C’est à cause de lui que je suis allé irrésistiblement vers le Parti socialiste qui me paraît, de tous les partis, le seul capable de se définir, en ces domaines, de manière moderne et positive ». Vous voyez, mes chers amis, comment l’histoire se permet de taquiner notre actualité, comment elle nous interroge avec le recul du temps. Et Pisani de rajouter : « J’ai longtemps cru que le problème foncier était de nature juridique, technique, économique et qu’une bonne dose d’ingéniosité suffirait à la résoudre. J’ai lentement découvert qu’il était le problème politique le plus significatif qui soit, parce que nos définitions et nos pratiques foncières fondent tout à la fois notre civilisation et notre système de pouvoir, façonnent nos comportements ».

Je sors une deuxième fois de mon texte pour vous dire ici que mes premiers travaux de recherche sur ce sujet ont été financés par le Comité d’histoire du ministère de la Culture à partir de 1995, au lendemain du « retour » de l’Architecture à la Culture. La rue de Valois avait souhaité comprendre à l’époque pourquoi cette politique interministérielle de l’architecture était soumise à tant d’incertitudes. Et j’ai compris très tôt que l’analyse du projet de loi sur l’architecture de janvier 1977 ne pouvait pas ignorer l’analyse du projet de loi d’orientation foncière de décembre 1967.

Mais Georges Pompidou est maintenant président de la République. Lorsqu’il prend son crayon rouge, c’est le plus souvent pour griffonner quelques mots sur une note que lui adresse un de ses proches conseillers à l’Elysée, en haut à gauche de la première page. Pour les Affaires culturelles, son proche conseiller est son beau-frère, Henri Domerg. Les questions d’architecture relèvent de ses responsabilités. C’est par lui que tout passe et, logiquement, à l’automne 1969, il lui revient d’analyser pour le chef de l’Etat le rapport dont tout le monde parle dans les milieux autorisés. C’est le rapport rédigé par l’ancien préfet René Paira à la demande du cabinet d’André Malraux. Son titre est le suivant : « Propositions pour une réforme de la fonction d’architecte ». Il est rendu in extremis, au lendemain du référendum fatal qui achève la décennie gaullienne, entre les deux tours de l’élection présidentielle. Après avoir lu l’analyse du rapport Paira que lui transmet Henri Domerg, Georges Pompidou couche sur le papier l’appréciation suivante : « C’est une affaire bien compliquée. Il faut cheminer avec prudence ».

Parcours du combattant pour un projet de loi controversé
C’est avec malice que je m’arrête sur cette citation du président de la République pour souligner qu’à l’automne 1969, lorsque les propositions du rapport Paira empruntent les chemins sinueux de la hiérarchie administrative de l’Etat, en montée puis en descente, on peut déjà percevoir qu’un éventuel projet de loi sur l’architecture fera effectivement un périple délicat, un voyage incertain, peut-être une trajectoire acrobatique, probablement une épopée sinueuse ou bien un cheminement parsemé d’embûches. Le rapport Paira fait trois propositions. La première avance la notion d’une « garantie architecturale » qui devrait être exigée pour toute construction. La deuxième concerne la qualité des constructions publiques qui devraient être exemplaires. La troisième suggère la mise en place d’un dispositif de recherche qui devrait stimuler et promouvoir la qualité architecturale des édifices.

Mais voyons ensemble ces trois propositions en sens inverse. La troisième mènera à la commande d’un rapport spécifique, celui d’André Lichnerowicz, qui contribuera à la création d’une politique de recherche architecturale, le 10 février 1972, avec la mise en place du CORDA (Comité d’orientation de la recherche et développement en architecture). La deuxième conduira également à la commande d’un rapport spécifique, celui de Claude Cornuau, qui contribuera à la création de la MIQCP (Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques), le 20 octobre 1977, il y a donc également presque quarante ans. Mais c’est la première proposition qui nous intéresse ici, et de manière prioritaire. C’est celle de la « garantie architecturale ». Vu d’ici, aujourd’hui, quarante-sept ans plus tard, vous conviendrez avec moi que cette formule peut étonner. Elle peut elle aussi faire sourire. A l’époque, elle a beaucoup intrigué et elle a aussi beaucoup inquiété. Mais elle est le point de départ du projet de loi sur l’architecture dont je vous parle ce matin. Je devrais d’ailleurs plutôt parler des différents projets et propositions de loi qui se sont succédés. Mais je prends le parti de distinguer le projet de loi de 1973 et le projet de loi de 1976. L’un appartient au moment pompidolien et l’autre appartient au moment giscardien.

Tout de suite, en cet automne 1969, trois réunions interministérielles sont organisées pour examiner la portée de cette troisième proposition du rapport Paira. Elles sont présidées à Matignon par Michel Roux, le conseiller du Premier ministre Jacques Chaban-Delmas. Deux ministères sont directement concernés : la Culture et l’Equipement. Sont présents les collaborateurs d’Edmond Michelet pour la Culture et les collaborateurs d’Albin Chalandon pour l’Equipement. Les échanges sont copieux et significatifs de tout ce qui séparent les uns des autres, dès le début, et pour bien longtemps. Mais c’est surtout l’autorité d’un architecte bien connu de la profession qui donne le ton de ces échanges et qui vient affirmer que le ministère de l’Equipement n’acceptera jamais cette idée de « garantie architecturale ». Architecte-conseil de l’Etat et concepteur de Sarcelles, Jacques Henry-Labourdette est conseiller technique au cabinet d’Albin Chalandon. Pour lui, c’est une grave erreur de considérer qu’on pourrait ainsi garantir une qualité architecturale pour le cadre de vie des Français. A ses yeux, on ne pourrait rien garantir du tout en accordant un monopole aux architectes, en assurant la promotion de cette profession, et en imaginant qu’une loi pourrait imposer le recours obligatoire à cet architecte qui n’inspire plus confiance à grand monde, tant les erreurs de notre passé condamnent les villes et les campagnes de notre présent et de notre futur.

Ce qu’il faut dire surtout, c’est que cette dynamique naissante (ou renaissante) qui envisage de légiférer pour la qualité architecturale vient en tous points s’opposer à la politique menée tambour battant par Albin Chalandon. Lui, l’ancien résistant proche du Premier ministre, souhaite avant tout que les Français accèdent à la propriété d’une maison individuelle. Contre vents et marées, et contre sa propre administration du ministère de l’Equipement, il veut libéraliser l’urbanisme dans son ensemble et, si possible, supprimer toutes les règles et procédures, y compris même le permis de construire. A son collègue de la Culture, il adresse les mots sympathiques suivants : « Je ne crois pas que la qualité architecturale puisse être le résultat d’aucune procédure dite de « garantie ». Il ne m’est donc pas possible de donner, en tant que responsable de la construction et de l’urbanisme, mon accord sur le texte que vous avez bien voulu me soumettre ».

Ce qu’il faut dire aussi, c’est que même au cabinet de Jacques Chaban-Delmas à Matignon, c’est le scepticisme qui l’emporte. Michel Roux voit défiler dans son bureau tous les ténors de cette profession d’architecte déjà très mobilisée. Aucun ne parvient à le convaincre qu’un tel projet de loi serait autre chose qu’un chèque en blanc pour les architectes, et non pas un vrai tremplin pour l’architecture. Pendant que les organisations professionnelles se mobilisent en tous sens et qu’une première proposition de loi est déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale par quelques députés, les administrations de l’Etat sont au point mort : il est urgent d’attendre.

Ce qu’il faut dire enfin, c’est que cette insondable notion de « garantie architecturale » suggère que c’est à l’Etat de prendre en charge les enjeux de la qualité architecturale du cadre de vie des Français. Elle suggère que c’est à l’Etat de s’assurer que telle ou telle construction possède les caractéristiques d’une qualité architecturale et que telle ou telle autre construction ne les possède pas. Vaste programme !

Au vrai, il me faut souligner à nouveau qu’au début des années soixante-dix, le traumatisme architectural français est profond. Il est durable. Il paraît incurable. La question architecturale n’est étrangère à personne, et pourtant on n’a jamais tant dénigré cette fonction d’architecte représentée jusqu’au sommet du pouvoir par les grandes figures de la profession, les mandarins qui se sont partagé la commande architecturale et urbaine à l’échelle du pays.

Pour notre projet de loi, l’année 1970 est celle d’un vrai retard à l’allumage. L’année 1971 n’est pas plus dynamique. L’attentisme règne. Le président de la République suit avec une attention quasi quotidienne l’évolution de « son » projet architectural pour le centre Beaubourg. Il assume tant que faire se peut la destruction des Halles de Baltard au coeur de la capitale. Le directeur de l’Architecture de la rue de Valois a bien été sollicité pour faire avancer le chantier de ce projet de loi mais, devant l’inertie de toute sa hiérarchie, Michel Denieul ne se sent pas pousser des ailes sur le sujet. Comme beaucoup, il se pose une question simple et évidente : si le législateur venait à imposer le recours obligatoire à l’architecte pour qu’une qualité architecturale soit effectivement au rendez-vous, alors cela signifierait que l’Etat est en mesure de garantir au préalable que ces architectes ont été correctement formés. Autrement dit, il faudrait absolument que ces architectes soient de bons architectes. Mais qu’est-ce qu’un bon architecte ? Et quelle est-elle, cette qualité architecturale que chacun souhaite pour le bien de la Collectivité ?

Georges Pompidou l’a dit, il l’a redit et il l’a écrit avec son encre rouge sur la première page des notes de ses proches conseillers : la formation des architectes doit s’éloigner le plus possible de l’enseignement universitaire qui est la gangrène de la France. Mais ce n’est pas ce qui se passe dans les faits car les unités pédagogiques d’architecture n’ont qu’une soif : intégrer les sciences humaines et sociales dans la formation des architectes pour que le profil de l’architecte de demain soit celui d’un intellectuel dans la cité. Un brin désabusé, en moyens termes avec son ministre, Michel Denieul pense la même chose que le président de la République qui le connaît bien et qui le nomme préfet du Lot, son département dont il veut préserver le patrimoine.

Le projet de loi prend un nouveau départ lorsque Jacques Duhamel, le ministre des Affaires culturelles, accueille avec Jacques Rigaud, son directeur de cabinet, le nouveau directeur de l’Architecture. Il s’agit d’Alain Bacquet. C’est un membre du Conseil d’Etat comme eux. Mais c’est surtout l’artisan de la loi d’orientation foncière de décembre 1967. Il était à l’Equipement. Le voilà donc à la Culture. Alain Bacquet est chargé de relancer la machine. Avec ses collaborateurs, il propose de couper la poire en deux. D’accord pour un monopole accordé aux architectes mais à condition que ce soit un monopole partiel. Chers amis, vous l’avez compris, cet oxymore tactique fait émerger la notion de seuil logiquement dotée de son « au-delà » et son « en-deçà ». Au-delà du seuil : recours obligatoire à un architecte. En-deçà du seuil : aide architecturale obligatoire mais gratuite. Voilà le sens du projet élaboré par Alain Bacquet.

Georges Pompidou reçoit le nouveau directeur de l’Architecture le 30 août 1972 et sa perception du problème commence à s’éclaircir. Il comprend mieux les enjeux de ce projet de loi. Comme beaucoup d’autres, il en vient à reconnaître qu’il faut bien se faire une raison : si l’on veut promouvoir en France la qualité architecturale des constructions, quelle que soit cette qualité d’ailleurs, il est préférable que la profession d’architecte soit en bonne santé, et non pas dépréciée par tous, rejetée par chacun, et rendue coupable de tous les maux. L’année 1972 permet au projet d’Alain Bacquet de circuler en interministériel comme on dit. Malheureusement, Olivier Guichard, le ministre de l’Equipement, parvient encore à convaincre ses collègues du Gouvernement. Presque tous les ministres s’opposent au projet que porte leur collègue des Affaires culturelles, Jacques Duhamel. On sait qu’il faut avancer d’une manière ou d’une autre, mais il est urgent d’attendre.

La méfiance vis à vis des architectes est partout. Alors une loi pour l’architecture qui viendrait à être une loi pour les architectes, peu de gens sont prêts à y adhérer. Edgard Pisani, qui ne manque pas une occasion de s’exprimer sur le sujet, a raconté à plusieurs reprises cette anecdote qui reste une leçon valable aujourd’hui pour toutes les politiques publiques, y compris les politiques culturelles, y compris cette politique de l’architecture qui se cherche encore. A l’été 1961, il est convoqué à la Boisserie par le général de Gaulle qui va lui confier le ministère de l’Agriculture. Edgard Pisani écoute attentivement les premières instructions à l’issue desquelles le chef de l’Etat lui dit en substance la chose suivante : « Vous allez être le ministre de l’Agriculture du Gouvernement mais attention, vous ne serez pas le ministre des agriculteurs ».

L’année 1973 permet enfin à Matignon de trouver un angle de tir pour un fragile consensus au sein du Gouvernement. Le projet de loi sur l’architecture arrive sur le bureau du Sénat. Il est discuté en séance publique le 7 juin 1973. Pour le Gouvernement, c’est le ministre des Affaires culturelles, Maurice Druon, qui est à la manoeuvre. Pour la Commission des Affaires culturelles, le rapporteur est Michel Miroudot, qui commence son exposé introductif par ces quelques mots : « Pour la première fois en France, la qualité architecturale est décrétée d’intérêt public. L’Homme découvre souvent les choses au moment de les perdre ». Mais un peu plus loin, il souligne que le projet du Gouvernement est totalement déséquilibré. Dans l’exposé des motifs, une moitié est bien consacrée à l’architecture et une autre moitié est bien consacrée à la profession d’architecte. Mais dans le corps du projet lui-même qui comporte trente-huit articles, un seul concerne l’architecture et trente-sept la profession d’architecte.

Débattre au Parlement de la qualité architecturale ?
Au cours de cette séance du 7 juin 1973, les débats sont riches et animés. On apprend qu’un amendement de la Commission attire l’attention de chacun. Il propose que « l’adaptation esthétique de l’architecture à son cadre ou à ses environs » ne reste pas seulement un principe abstrait contenus dans l’exposé des motifs. Il suggère que ce principe ait une portée juridique. Michel Miroudot veut absolument que la question fondamentale qui motive ce projet de loi, c’est à dire l’harmonie des constructions avec les perspectives et le site environnant, devienne effectivement une question de droit. Il faut à ses yeux que la loi puisse garantir que les constructions, « leur situation, leurs dimensions ou l’aspect extérieurs des bâtiments », ne puissent pas « porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains, ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ». La Commission propose qu’un décret en Conseil d’Etat puisse fixer les modalités selon lesquelles est vérifié le respect de ces obligations. Pour le Gouvernement, Maurice Druon souligne qu’une telle recherche d’esthétique et d’harmonie ne pourra produire que d’innombrables recours. Il s’oppose donc à cet amendement qui est finalement… adopté.

On apprend également que le projet du Gouvernement prévoit que le recours obligatoire à l’architecte ne concerne que son travail de conception, et pas la mission complète. On perçoit enfin que beaucoup d’hésitations subsistent quant à la mission effective de ces organismes d’aide architecturale à la conception du projet, les futurs CAUE. Bref, comme le souligne amusé le sénateur Marcel Lucotte, « on sent dans le texte comme une tension interne ». Dans l’hémicycle du Palais du Luxembourg, l’opposition s’oppose. Par une question préalable qui sera rejetée, elle affirme qu’il y avait là une belle ambition exprimée à merveille par l’exposé des motifs, mais qu’en réalité les trente-huit articles du projet ne concernent que l’organisation de la profession d’architecte. Léon Eeckoutte, l’auteur de la motion, le dit sans ambages : « La montagne a accouché d’une souris ».

Après de multiples corrections, le projet de loi est adopté par le Sénat mais personne n’est satisfait car chacun sait bien qu’il n’ira pas plus loin. De nombreux blocages conceptuels n’ont pas pu être surmontés. Légiférer pour la qualité architecturale, c’est faire entrer le jugement esthétique dans le droit. C’est pour cette raison que le projet de loi, qui ne le peut pas, se concentre sur ce qu’il peut, c’est à dire la profession d’architecte. Depuis Alger, Fernand Pouillon analyse le projet de loi voté par le Sénat. Il envoie une belle lettre au président de la République et au Premier ministre. Ces mots sont les suivants : « Il aurait été plus exact de l’appeler “ projet de loi pour assurer la vie des architectes “ car il n’est guère question d’architecture dans ce texte, à l’exception de l’article 1… Après l’avoir annoté, je me suis aperçu que c’était un monstre et on ne peut pas modifier un monstre pour en faire un être normal. Il faut le tuer ».

Ici, je sors de mon texte une troisième fois pour vous dire que l’Etat au travail peut s’appuyer sur cette base très substantielle fournie par les sept années du projet de loi sur l’architecture. Je pourrais me pencher avec vous sur l’histoire complexe de la loi MOP de juillet 1985 qui vient utilement compléter la loi de 1977. Je pourrais aussi évoquer les péripéties toutes récentes du projet de loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, la loi LCAP de juillet 2016. Mais je crois que les enjeux les plus fondamentaux qu’il faut avoir à l’esprit sont déjà là, dans ces années soixante-dix, alors que la France encore très jacobine s’engage dans le passage essentiel qui l’emmène du quantitatif au qualitatif.

Au sein du Gouvernement, le portage politique du projet s’est estompé, notamment du côté de la rue de Valois. Alain Bacquet comprend bien qu’au niveau politique, le compte n’y est pas. Il voit bien que la question du seuil a fait son chemin et qu’elle sera conservée mais il doit se rendre à l’évidence : les choses ne sont pas encore mures. Et ce n’est pas la polémique des tours de la Défense venant s’imposer dans perspective de l’Arc de Triomphe qui aide à clarifier le débat : il est urgent d’attendre. Le ministère de l’Equipement ne s’oppose plus tellement à la question du seuil car il sait déjà plus ou moins à quel niveau il sera fixé. Il sait déjà que ce fameux seuil laissera une partie très majoritaire de la construction française hors de portée du recours obligatoire à l’architecte. Mais c’est l’en-deçà du seuil qui préoccupe tout de même beaucoup les collaborateurs de Pierre Mayet dans les couloirs du Quai de Passy : ils ne veulent pas entendre parler de ces organismes départementaux d’aide ou de conseil architectural. C’est une chasse gardée des DDE qui ont reçu mission de promouvoir la qualité architecturale dans l’urbanisme et la construction aux côtés des élus. C’est une chasse gardée des architectesconseils et des architectes consultants qui travaillent avec Antoine Givaudan au sein de la redoutable DAFU, la direction de l’Aménagement foncier et de l’Urbanisme. Pour eux, pas question de voir naître des CAU ou des CAUE.

Bref, le projet de loi doit subir une énième panne et c’est le nouveau paysage politique du giscardisme au pouvoir qui va organiser le dépannage. Mais peut-être faut-il souligner que c’est surtout le nouvel attelage politique de l’Exécutif qui va permettre au Gouvernement de retourner vers le Parlement avec un nouveau projet de loi. Alain Bacquet et ses collaborateurs se remettent au travail sous l’autorité de Michel Guy, secrétaire d’Etat à la Culture. A Matignon, Jacques Chirac a un oeil très positif vis à vis de l’architecture et des architectes. A l’intérieur de son cabinet, il a un chargé de mission du nom de Jean-Pierre Bady. A l’extérieur de son cabinet, il peut se nourrir de conseils et pressions en tous genres. Mais une voix compte un plus que les autres, c’est celle d’Alain Gillot, le président de l’UNSFA. A l’Elysée, Valéry Giscard d’Estaing a un point de vue sur l’architecture. Il en a même plusieurs. Ils prennent tous l’exact contre-pied de ce que pensait son prédécesseur. Dans son cabinet, il a un conseiller du nom de Pierre Richard.

Malgré les harmonies de façade qui font la cohérence des premiers mois du septennat giscardien, les relations entre Culture et Equipement à propos d’architecture restent tendues, voire très tendues. Et puis on le sait, à la tête du pays, le tandem Giscard/Chirac commence très vite à connaître des difficultés. Les deux droites de la majorité s’observent, se mesurent et s’affrontent. Pour le second projet de loi sur l’architecture, l’ambiance de travail a ceci de particulier qu’une droite à un point de vue sur l’architecture dans ses rapports avec l’urbanisme, et que l’autre droite voit les choses très différemment.

Les enjeux idéologiques sont les mêmes mais il faut dire que le contexte a changé. Le projet de loi arrive sur le bureau du Sénat en novembre 1976. Il parvient à l’Assemblée nationale en décembre 1976. Il n’est pas question ici d’analyser en détail les débats fort intéressants des deux chambres qui ont à examiner ce texte officiellement déclaré urgent. On est à deux pas de Noël. Après l’adoption du Sénat, les députés du Palais Bourbon doivent se pencher sur ce projet de loi dont on entend parler depuis des années et des années, qui a paraît-il une si haute importance, et qu’il faut examiner en urgence durant six séances, à la veille de la clôture de la session parlementaire. Les débats mobilisent François Giroud qui a remplacé Michel Guy rue de Valois. Le rapporteur de la Commission des Affaires culturelles est Alexandre Bolo qui commence par soupirer avec quelque lassitude : « Enfin, enfin, enfin ». Et puis il continue en affirmant le point de vue lumineux suivant : « La difficulté, dans notre époque de clameurs et d’agitations, est de faire jouer aux formes architecturales une harmonieuse et silencieuse symphonie de rythmes immobiles ». Vaste programme là aussi ! Le nouveau projet de loi se présente sous ses meilleurs atours. Il affirme une « novation fondamentale » qui est un véritable pari sur l’avenir. L’idée force est la reconnaissance de l’intérêt public de la qualité architecturale. Le postulat de départ de cette idée force, c’est la présomption de compétences des architectes qui, de fait, obtiennent la confiance du législateur pour ne pas défigurer la France.

La loi sur l’architecture est votée le 3 janvier 1977. Contre cette droite giscardienne soumise aux influences historicistes d’un Ricardo Bofill accueilli à bras ouverts, la droite chiraquienne s’est imposée. Elle est parvenue à faire voter une loi que la gauche au pouvoir n’a jamais cru devoir abroger. Mais ce qu’il convient de préciser, c’est que le vote de cette loi sur l’architecture a eu une conséquence directe : elle a achevé de convaincre les collaborateurs de Valéry Giscard d’Estaing que la politique de l’architecture devait quitter la rue de Valois pour rejoindre le Quai de Passy. Vous savez qu’on y pensait depuis déjà longtemps au ministère de l’Equipement. On en parlait aussi souvent à l’Elysée. Eh bien en mars 1978, au lendemain des élections législatives, lors de la formation du troisième gouvernement Barre, ce qui fut dit fut fait !

Oui, 1978 est une date importante pour la politique de l’architecture qui croit devoir légiférer pour affirmer deux vérités complémentaires. La première souligne qu’on ne peut promouvoir la qualité architecturale qu’en promouvant la profession d’architecte. La seconde précise qu’il n’y a pas d’architecture sans intervention de l’architecte. Au cours de ces années de gestation du projet de loi sur l’architecture, les collaborateurs de Valéry Giscard d’Estaing ont pu mesurer l’intérêt qu’il y avait à faire évoluer à nouveau le paysage des politiques publiques de l’aménagement de l’espace. Ils ont eu tout le temps de constater que le ministère de l’Equipement né en 1966 devait se transformer pour organiser le mariage des aménageurs et des protecteurs. Soutenu à l’Elysée par Pierre Richard, le corps des ingénieurs des ponts et chaussées emmené par Pierre Mayet s’est emparé de cette nouvelle ambition. Il a conçu la nécessité d’une nouvelle formule ministérielle appelée « Environnement et Cadre de vie » qui réalise la synthèse en matière d’intégration des cultures professionnelles. Avec le regroupement de l’urbanisme, de la construction et de l’architecture, le triangle vertueux est là, solidement installé, stratégiquement articulé avec les problématiques de paysage et d’environnement.

Oui, 1978 est une date importante car le ministère de l’Environnement et du Cadre de vie confié à Michel d’Ornano parvient à concrétiser cette « OPA » sur l’architecture que désirait tant le ministère de l’Equipement d’Edgard Pisani en 1966. Les batailles homériques du projet de loi sur l’architecture ont accéléré le processus. Les affrontements entre la rue de Valois et le Quai de Passy ont été violents et, au centre du jeu, l’UNSFA et le CNOA se sont mobilisés comme jamais. Mais sur le fond, en dehors des enjeux corporatistes, la vérité nous oblige à souligner que c’est bien la question existentielle de la création architecturale qui est posée. Ce qui fait problème, comme le soulignent à maintes reprises députés et sénateurs, c’est la confiance que les pouvoirs publics veulent ou ne veulent pas accorder à cette création architecturale née du processus de conception. Et puis ce qui interroge le projet de loi sur l’architecture, c’est surtout la relation forcément délicate que le projet d’architecture est capable d’entretenir avec l’espace public qui relève de l’intérêt général. Ce que reprochent aux architectes les hauts fonctionnaires chargés de l’urbanisme de la France, c’est de vouloir bousculer le droit avec les subjectivités de l’oeuvre et du jugement esthétique, c’est de vouloir imposer à la Collectivité les intérêts particuliers de cette fameuse qualité architecturale qui relève de l’objet construit.

On voit bien que les quiproquos sont nombreux et que le choc des cultures professionnelles est durable. Pour la direction de l’Architecture, l’heure du départ de la Culture sonne en 1978. L’heure du retour à la Culture sonne en 1995, dix-sept ans et une loi MOP plus tard. Je le suggérais en introduction de mon propos, la dimension interministérielle des politiques d’aménagement de l’espace correspond très directement à la dimension interdisciplinaire que l’architecture et l’urbanisme ont en partage. Il en va du cadre de vie des Français et il est donc très souhaitable que le prochain gouvernement puisse faire naître effectivement une délégation interministérielle à l’Architecture et à l’Urbanisme placée auprès du Premier ministre.

Je sors de mon texte une quatrième et dernière fois pour vous dire que je termine en ce moment un ouvrage qui collecte le fruit d’entretiens menés avec les douze directeurs de l’Architecture qui se sont succédés, à la Culture puis à l’Equipement puis à la Culture, de 1960 à 2010. Tous ces hauts fonctionnaires ont vécu une partie de cette histoire complexe. Tous en ont été plus ou moins acteurs. Tous ont exprimé un point de vue sur cette transversalité obligatoire qui soude les enjeux de l’architecture et de l’urbanisme. Tous ont affirmé que les lois de décentralisation n’avaient pas été suffisamment préparées et accompagnées du point de vue de l’architecture et de l’urbanisme. Certains pensent que l’Etat a encore son mot à dire sur ces questions fondamentales. D’autres pensent qu’il appartient plutôt aux élus d’appliquer la loi et d’assumer une véritable ambition pour l’architecture dans les paysages urbains, suburbains ou ruraux.

Et puisque ce colloque est aussi celui des collectivités territoriales et de leurs élus, je dirais que les lois qui concernent l’architecture ne se trouvent pas forcément où l’on croit qu’elles se trouvent. Dès lors qu’un dispositif législatif ou réglementaire concerne l’aménagement de l’espace habité, il y a matière à s’inquiéter au sujet de cette architecture qui est à la fois chose publique et affaire culturelle.

Eric Lengereau, architecte-urbaniste et historien de l’architecture


Ce texte est issu du colloque « 40 ans de loi(s) sur l’architecture : bilans et perspectives » organisé à Lyon le 31 mars 2017 par le Conseil régional de l’Ordre des architectes Rhône-Alpes et l’Association des maires de France

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