En 526, Saint Benoit de Nurcie va fonder l’ordre des Bénédictins à Monte Cassino. Durant des siècles l’ordre va collecter dans le monde connu les connaissances, traités de construction, traités de géométrie, et tous les savoirs faire attenants, pour compiler une bibliothèque de la construction sacrée inédite et hors du commun. Les Pères vont compiler les savoirs théoriques et la capacité à projeter, et les Frères vont expérimenter et transmettre les techniques de construction à travers les siècles. Les Pères sont nos aînés, architectes avant l’heure, et les Frères, déjà compagnons, seront les aînés de nos artisans et entreprises.
En 1118, le cistercien Bernard de Citeaux va lancer la seconde croisade pour protéger les chemins de Jérusalem sous l’autorité de 9 chevaliers de confiance. Pourtant, ils ne garderons aucune route mais s’installeront sur l’emplacement du temple de Salomon sous les bons auspices du Roi Baudoin II, souverain de l’occident chrétien. A leur retour, 10 ans plus tard, s’érigeront 200 cathédrales en 200 ans en Europe occidentale. C’est bien des traités arabes de géométrie et d’élancement des voûtes qu’ils ont ramené, le graal étant probablement un ensemble de tracés croisant des courbes ogivales ayant la forme de la coupe sacrée.
L’architecte Georges Prat nous rapporte ces références dans « l’architecture invisible ».
A la rencontre des savoirs Celtes et de ceux de la Méditerranée, charpentiers, tailleurs de pierre vont tracer leurs épures aux 4 coins du territoire et essaimer des techniques jusqu’alors inconnues.
Architectes, nous en gardons la filiation en établissant des plans, projection au sol de ce qui sera réalisé en élévation. Plans, coupes façades, nous avons appris à projeter en 2 dimensions, et le plan reste l’alpha et l’omega de la construction.
Aujourd’hui, la maquette numérique et son chaînage aux fonctions en 3 dimensions, nous donne accès en un clic à la perspective, là où il fallait, il n’y a pas si longtemps, des heures d’un travail fastidieux. Quel progrès inouï dans l’assistance et la maîtrise du projet.
Pourtant, nos aînés, qui savaient réaliser des maquettes à échelles réduites, traçaient quand même au sol l’épure des assemblages de leurs poutraisons, ou la découpe de leur stéréotomie.
Il y a 2 raisons à cela. La première est que l’église ou la cathédrale était proportionnée selon le rapport de la longueur de l’ombre à midi d’un poteau, le gnomon, aux points singuliers des saisons que sont les solstices ou équinoxes. La longueur d’ombre divisée par la hauteur du poteau donnait la vibration du lieu.
Ensuite, le tracé qui en découlait émergeait de la terre du lieu, comme si le plan était un filtre à travers lequel la puissance tellurique jaillissait pour ériger la pierre vers le ciel.
Jean-Luc Godard a dit que le cinéma était mort avec le numérique. Car avec l’argentique, l’image, la lumière devait passer par le négatif. Sentir que la réalité créée est prise en tenaille entre la lumière et l’ombre, qu’elle est l’interface de leur rencontre et une notion fondamentale de l’acte de créer, donc de celui de bâtir. Ensuite harmoniser la musique du lieu dans les superstructures va être la science du maître de l’œuvre.
Le merveilleux BIM fait de nous des ingénieurs qui assemblons nos ouvrages avec une précision d’orfèvre. Les imprimantes 3D chaînées à nos logiciels nous offre la possibilité de produire des maquettes ou même, sous peu, des maisons avec une buse qui crachote sa substance. Nous voilà avec une chaussette de pâtissier, prêts à tartiner nos villes avec des maisons en chantilly.
L’approche en volume a ses vertus.
Un petit garçon voyant Michael Ange débiter son David d’un gigantesque bloc de marbre lui demanda : « comment tu savais qu’il était caché dedans ? »
Mais l’architecture n’est pas la sculpture.
Le plan n’est pas le burin ou le moule. L’architecture ne creuse pas la matière. Elle passe à travers elle. Le plan est une partition, une écriture, le support d’un langage.
Certes, une architecture sans plan peut se rendre attrayante telle l’improvisation d’un talentueux slameur en mouvement. Mais nos images ont déjà perdu la mine de plomb, l’encre de chine et le grain du papier. Laissons leur l’essence du verbe, l’écriture en plan.
Le plan, c’est ce qui est planté en terre, comme les reste de fouilles archéologiques qui nous donnent tant à imaginer. Le plan est un début de phrase qui laisse des portes ouvertes …
Le gland qui pousse ne sait pas encore l’espace qu’il va occuper. Mais il se donne le temps d’un ancrage, de s’enraciner en force avant d’affronter le ciel, ses aléas et ses intempéries.
Créer en 3D, c’est produire un objet qui n’a pas de terre où s’implanter.
La 3D est un objet, le plan est un sujet. Le plan commande, le plan dirige, le plan ordonne.
L’ordonnancement est le rythme que le maître d’œuvre donne à la construction.
Nos intentions doivent être inscrites dans le plan et se révéler à travers le filtre qu’il constitue.
Lorsque je démarre un projet avec un logiciel de maquette numérique, je créé un calque zéro. J’y glisse mon épure. Mes intentions en filigrane. Comme un bon sous-cul !
Les plus nobles charpentes, les plus audacieuses voutes ont été esquissées à même le sol avant de s’ériger dans les airs. Ne cédons pas aux facilités de l’outil 3D. N’oublions pas notre épure. Elle est le contrat que nous nous donnons avec notre création.
Transformons nos métiers, sans en perdre l’essence.
Pascal Boivin, architecte-urbaniste et conseiller ordinal Languedoc-Roussillon Occitanie
Architecte - Ville < 50.000 habitants - 23300
il s’agit en effet de mettre de la poésie dans notre pratique créative, sans devenir esclave des outils que l’on nous impose parfois.
Architecte - Village - 42140
Le plan : organise, prend possession, fixe les limites, positionne les passages, oriente, désigne l’horizon comme terme :
Logique animale de territoire,
Nombre de pas,
Là, ici,
Inquiétude du coin de l’œil,
Espace sans temps,
Surface : mettre un piquet aux quatre angles, tracer un sillon pour marquer le tour, surveiller, contrôler, maîtriser…..
Vieille histoire de chemin de ronde, de notaire, de géomètre, de cadastre….. :
Ma terre, mon sol, mon pays : carré.
La coupe, elle, étire la verticale pour me dire comment être debout. C’est elle qui transmute le plan en possibilités de rencontres, l’espace en durée, l’horizon en possibilités d’ouvertures : cercle
Quant aux façades, dans le meilleur des cas elles présentent, dans le pire, elles représentent.
Yves Perret