En architecture, il y a un sentir commun, à l’image de la théorie de Descartes à propos du sens commun : la chose la mieux partagée du monde. Haussmann a créé un espace égalitaire dans tout Paris et selon que vous soyez puissant ou misérable, les parcs, les squares, les lampadaires, les trottoirs, tout ce qui fait de cette ville un lieu commun a été conçu avec un extraordinaire soin. Nous architectes, dans notre vaste mission qu’est de fabriquer la ville, devons faire en sorte que les bâtiments se fréquentent et donnent le sentiment qu’ils créent une continuité, une harmonie, une poésie du bâti.
Aujourd’hui, le développement de la technologie bouleverse cependant nos métiers. Et je crois que ce développement inexorable peut entrainer de vraies catastrophes. En revanche, notre rôle est de se servir de cette technologie d’une manière suffisamment détachée, pour nous permettre de réinstaller sans cesse de la poésie dans la ville que l’on fabrique.
La deuxième chose, je crois, c’est que les villes vont devenir de plus en plus agricoles. Nous pouvons lier l’intensité urbaine pour une bonne urbanité, avec l’agriculture urbaine. Cette ville qui donne à manger, qui est solidaire, peut faire évoluer les villes vers plus d’idéologie et non vers la technologie, qui deviendrait la finalité.
En ce qui concerne toutes les innovations techniques, nous, architectes, devons être vigilants vis-a-vis de la mise en garde d’Heidegger, à savoir l’arraisonnement par la technique. Dès lors qu’on a les moyens techniques, le risque est que ce nouveau moyen modifie notre perception du monde, pour transformer notre humanité en fonction de cette technologie. La technique améliore notre vie comme elle peut donc nous arraisonner. Un de mes amis, Gilles Olive disait que la technologie ne vaut que dans l’art. J’ajouterai que la technologie ne vaut que si elle est balisée philosophiquement dans la grande bataille pour pacifier les relations entre tous. Nous, architectes, avons le devoir de ne pas le perdre de vue dans notre action, et pour cela nous sommes armés. Il faut garder en tête que nous pouvons être les médecins des villes. Notre force est la quête du sens. Pour fabriquer les villes aujourd’hui, comme pour demain, nous devrons encore et toujours faire émerger dans les projets que nous menons, des éruptions de sens.
Roland Castro, architecte