Lorsque les qualités structurelles et plastiques du béton ont été comprises par la plupart des architectes du début du siècle dernier, nous avons assisté à une révolution dans l’art de construire: l’Architecture était entrée dans sa phase « moderne ».
De même, lorsque que internet s’est imposé dans la ville, il nous a fallu repenser le parcours de l’urbain, cher à Le Corbusier, pour lui adjoindre une dimension inconnue jusqu’alors qui allait dans un premier temps passionner les uns et déstabiliser les autres.
Le « mondialisme » venait de naitre…
S’il s’agit aujourd’hui d’une vraie révolution, les effets concomitants sont à associer avec des réflexes culturels trop souvent méconnus. En d’autres termes cette « mondialisation » sera plus ou moins acceptable si les fondements socioculturels de chaque pays ou région du monde sont en phase avec la logique structurelle et en réseau de l’outil internet.
C’est de cette façon qu’on peut parler d’une nouvelle hégémonie américaine à partir du moment où les outils informatiques diffusés appartiennent et sont indissociables de la culture et de la logique du « langage » américain.
De même on peut expliquer en partie le développement spectaculaire de l’économie et de l’urbain en Chine par cette adéquation subtile entre un système politique au sens large qui se conjugue en réseau, comme l’est internet.
A l’inverse les difficultés d’adaptation de la France avec « l’ordre binaire en marche » sont assez évidentes en regard par exemple avec la contradiction qu’il y a entre notre système politique linéaire et unidirectionnel et un réseau informatique ouvert mais reformaté au goût français – je pense par exemple à notre fonctionnement administratif si compartimenté.
L’exemple de Shenzhen – Chine
Au moment ou il avait été acquis que Hong Kong reviendrait à la Chine en 1998, Deng Xiaoping, remarquable stratège, imagina la création d’une enclave urbaine qui serait non seulement un espace de dilatation entre les Nouveaux Territoires et le Guandong, mais également un laboratoire urbain permettant de tester les nouvelles règles administratives, financières et urbaines d’un futur qui s’ouvrait à la Chine nouvelle.
Il s’agissait d’un territoire agricole bordé par deux frontières naturelles, la rivière des perles au Sud et des montagnes au Nord qui s’étendait sur environ quatre-vingt kilomètres d’est en ouest, et une quarantaine de kilomètres du nord au sud. En 1980, une partie de son territoire acquiert le statut de zone économique spéciale et devient l’un des principaux lieux d’expérimentation de la politique d’ouverture aux investissements étrangers. Bénéficiant de sa position géographique privilégiée, elle connaît un essor économique et démographique spectaculaire. En 2010, elle compte environ 10 millions d’habitants.
L’urbanisme de la ville s’articule autour de 3 axes linéaires d’est en ouest permettant ainsi un maillage urbain dont l’essor et la dynamique se fera petit à petit en expérimentant, par exemple, un POS qui sera le 1er à être mis en œuvre en Chine. Une politique en parallèle d’implantation d’espace verts sous la forme d’avenues fortement paysagées, de parcs dont l’échelle permet de véritables respirations urbaines délimitant ainsi des quartiers de villes qui s’organisent autour de nœuds de transport et commerciaux, permettra d’accepter une densité qui malheureusement deviendra par la suite une nuisance si l’on considère l’essor en parallèle d’un réseau de circulation de plus en plus congestionné, avec comme conséquence une pollution qui a remplacée celle des »usines du monde » qui étaient implantées à Dongguan au Nord.
Aujourd’hui, le processus d’ouverture au monde s’accélère grâce aux big data qui permettent d’optimiser avec notamment le réseau performant de wechat la gestion de l’espace urbain: paiement digital généralisé, ubérisation, optimisation des services en tous genres, stationnement connecté…
De plus cet exemple chinois démontre que lorsqu’il y a une adéquation entre une stratégie acceptée par la plupart des usagers et un « nouveau territoire urbain » qui le permette, le développement numérique s’accélère pour devenir un « nouvel art de vivre ». Mais c’est là encore ou la dimension socio culturelle est incontournable car lorsque on superpose à cet essor actuel, sans se soucier d’un moyen terme qui n’existe pas dans la manière d’être asiatique, la prise en compte immédiate de la réalité présente, on accentue l’osmose entre internet et réactivité, entre choix possibles et prise de décision.
Bien entendu, l’urbanisation de Shenzhen a atteint aujourd’hui ses limites, aussi bien naturelles en regard des frontières imaginées il y a 35 ans, que vitales par rapport à une pollution qui devient endémique, heureusement à un degré moindre que dans les autres mégapoles chinoises.
La réponse, comme souvent en Chine, s’établit actuellement autour de plusieurs axes, avec le choix de réduire les sources de la pollution en Co2 en suivant les exemples des autres mégapoles mondiales – intensification du réseau public et surcoût du stationnement – mais surtout en associant de plus en plus les « locaux » et en transformant, grâce à une politique des prix de l’immobilier qui ont explosés, la composition sociologique d’une ville qui devrait être prochainement la silicon valley du hardware !
Pour conclure
Au contraire des autres grandes métropoles mondiales dont le développement est de plus en plus lié aux grands groupes financiers associés aux multinationales, les villes chinoises restent encore solidaires d’une politique urbaine décidée à l’échelle du pays, ce qui est en parfaite adéquation avec cette conception d’un pouvoir en réseau, que ce soit à l’échelle locale des communautés familiales ou à celle d’un pouvoir central.
Finalement, même si on peut regretter cette uniformité qui caractérise l’architecture chinoise de toutes ces villes fabriquées en un quart de siècle, on notera la mise en place de nouvelles règles qui tiennent de plus en plus compte des spécificités locales – je pense à Chonqching, Xiamen, Harbin – s’éloignant ainsi de l’urbanisme à la soviétique qui faisait jusqu’alors la part belle à une orientation systématique Nord Sud, pour s’orienter vers des solutions de plus en plus complexes.
Même si l’exemple de Shenzhen est loin d’être une vrai réussite, il permet de vérifier qu’une ville nouvelle peut s’adapter rapidement aux nouvelles technologies surtout lorsque le dynamisme local et la faculté d’adaptation se conjuguent avec une croyance en un meilleur futur. Il permet surtout de penser et d’espérer que la réponse tient dans un équilibre à trouver entre une mondialisation qui impose trop de standards simplistes et uniques et une prise en compte d’un terroir et de sa diversité complexe.
Gabriel Delage, architecte exerçant en Chine, Vector Design Group founding partner