Il était une fois une architecte qui partit loin de son pays de naissance où la nature est exubérante et puissante, pour aller vers une terre d’accueil dont son esprit s’imprégna. Le temps passant, la curiosité l’emporta vers des terres où l’on vit dehors, où l’espace public est un vrai bien commun et elle y prit racine… Âme chilienne, esprit français, coeur catalan. Je voudrais juste dire, en m’exposant ainsi, qu’il est important de s’imprégner des forces des lieux que l’on habite le long de notre existence, quelles qu’en soient les circonstances. Même celles de l’exil.
Il ne faut pas négliger la poésie des lieux, la force du lieu que l’on doit préserver et sauver plus que jamais dans ce monde ultra-globalisé. Mettons en place une ou des méthodologies qui permettent d’aborder les territoires d’une manière plus sensible, solidaire, plus proche de leurs habitants. Créons ensemble, descendons du piédestal des « sachants ». Apprenons à désapprendre. L’enjeu est énorme, facile à écrire, difficile à appliquer. Mais il faut résister, éduquer, accompagner. Et faire de chaque projet, quelle qu’en soit l’échelle, une opportunité d’aller au-delà des conventions. Face à cette complexité, demandons-nous quelles sont les questions pertinentes.
Soyons ancrés dans le respect de la diversité. Sachons écouter les autres, tous les autres et prenons note. Avant de dessiner le premier trait. Parcourons la ville, les villes, regardons, observons. Prenons le temps. Le temps de parler avec les usagers. De « toi à moi ». La meilleure concertation qui soit pour faire bouger les curseurs.
Le travail que nous menons à l’agence Archikubik démontre qu’on peut faire évoluer le modèle de fabrication de la ville. Nous sommes juste des ouvriers privilégiés de la construction, avec le devoir d’intervenir dans la cité, en ce moment de transformation historique de notre société. Nous tous, communauté d’architectes et urbanistes, devons retrouver l’essence des mots : la Polis, au sens originel du terme. Il ne faut plus se laisser intimider par les acquis, par la standardisation de nos vies, de nos modèles de production de la ville. Aujourd’hui, nous avons accès à l’information et nous pouvons être émetteurs de contenu, d’idées qui échappent aux voies classiques et qui peuvent toucher beaucoup de monde. Nous pensons que le temps est venu de retrouver de l’éthique dans nos modes de fonctionnement. C’est de notre propre responsabilité de devenir des consommateurs solidaires et de transmettre à nos enfants et étudiants ce regard pertinent empreint d’innovation sociale. Et cela commence par notre propre façon d’agir au quotidien, avec nos collaborateurs, nos maîtres d’ouvrage, nos écosystèmes ouverts.
Allons de l’avant plutôt qu’à l’aveuglette. Fions-nous à notre instinct. Laissons de côté les grands discours rhétoriques, retroussons les manches et travaillons, en suivant nos intuitions, en créant des nouveaux outils conceptuels et bien entendu, en travaillant avec des écosystèmes disruptifs ouverts, et en réseau, qui intègrent des experts en multiples domaines capables de reconnaître que le processus est aussi important que le résultat. Nous revendiquons l’échelle artisanale de la production, nous voulons rester des artisans du métier, des associés qui accompagnent les projets tout au long du processus de réalisation. Pour cela, il faut rester concentrés, typologie après typologie, ne pas développer à tous vents. Il faut « voyager léger ». Pouvoir refuser une commande si elle ne s’inscrit pas dans les critères de l’innovation sociale et de l’économie circulaire. Nous avons fait ce choix intuitivement il y a plus de dix ans. Et l’on s’aperçoit aujourd’hui qu’il est porteur. Notre but consiste simplement à ouvrir de nouvelles portes, pour démontrer qu’un autre futur est possible. Nous sommes tous des grains de sable, mais ensemble et portés par un bon vent, on peut reconfigurer entièrement le paysage !
L’extraordinaire période que nous vivons, avec la complexité et la vitesse de transformation des paradigmes – j’aime parler de « futur obsolète » –, met en exergue la terrible équation, accrue ces dernières années, d’un taux de rémunération extrêmement bas pour les agences d’architecture et d’urbanisme qui doivent intégrer, pour les mêmes honoraires, des sociologues, de la concertation, des experts de l’économie circulaire et autres spécialistes. Or, il serait intéressant que ces honoraires s’adaptent à cette pluralité, avec l’architecte comme chef d’orchestre de ces équipes pluridisciplinaires. Là réside le véritable enjeu de la profession.
Article issu du magazine l’Architecture d’Aujourd’hui
Carmen Santana, architecte, cofondatrice d’Archikubik
>> A VOIR AUSSI :
- Interview de Carmen Santana :
- Le site de Kubik, premier bâtiment de co-working de Barcelone co-fondé par Carmen Santana
- L’Ecosystème d’Archikubik
Architecte - Ville > 50.000 habitants - 92600
Super (beaucoup d’idées, très dense, et très clair); merci et bravo Carmen !