L’avènement du BIM et de la révolution dite numérique

- par Hubert Garcia, architecte. Transformons nos métiers !

Le numérique ne touche pas seulement l’architecture et les architectes, bien au contraire. Cette profusion technologique 2.0 ne touche finalement pas beaucoup les architectes, en tout cas pour l’instant dans l’acte de construire, nous pouvons très bien nous en passer et ce ne sont pas les vestiges et monuments des siècles passés qui pourraient me contredire…
L’architecture est un métier de la parole, de la transmission orale et ceci a chaque étape de l’acte de construire : on dialogue avec le maître d’ouvrage (avec ou sans concours), on échange avec les entreprises, on fait des réunions de chantier, on s’engueule et on rit.

Je suis convaincu que le langage est un des fondements de notre métier. Ce sont par les mots que nous expliquons un plan, une coupe, une image : le graphisme est notre vocabulaire, la parole ce qui nous permet de l’offrir à l’Autre.

Dans d’autres domaines, le développement du numérique a fait croire qu’il pouvait prendre le relais des hommes et femmes dans certains territoires. C’est ainsi, que les échanges numériques comblent –peut on vraiment le croire ?- les déserts médicaux dans certaines régions rurales et non rentables.

Un dossier médical numérique, des web-conférences, etc… les projets ne manquent alors pas. Si même le médical en est là, comment un métier comme l’architecture peut passer outre ? A n’en pas douter c’est impossible.

Comment l’architecture, « le bâtiment » pouvait passer à côté de cette mainmise du numérique et de ses ingénieurs qui nous veulent tant de bien ? Impossible ! « le monde change !» Dit-on. Nous oublions peut-être que si le monde change ce n’est pas vraiment à cause de la petite mésange qui gazouille en ces premiers jours de printemps ! Le monde change ? NON ! Nous changeons le monde ! Nous acceptons donc et avec un grand sourire (celui de la Joconde M. Ricciotti ?) de « passer au BIM » !

Le BIM : Building information modeling, ou building information model (BIM) ou dans sa transcription française modélisation des données du bâtiment (MIB) nous dit Wikipedia doit pouvoir nous servir à partager nos informations avec tous ceux qui potentiellement vont nous accompagner dans notre projet : du bureau d’études jusqu’à l’entreprise et le maître d’ouvrage. Nous créons une maquette numérique que chacun peut enrichir de ses connaissances.

Le principe est fort louable : gain de temps, réduction de la perte des informations, archivage simplifié, maintenance améliorée, bref, tout le monde devrait y trouver son compte. Je me permets d’en douter car hormis ce que je viens d’énoncer, est ce que le BIM va nous aider à concevoir mieux ? Si tant est que les architectes conçoivent mal, en général. Le BIM nous oblige à concevoir différemment, à imaginer la technique du bâtiment de manière très détaillée. C’est ainsi que la forme du bâtiment, l’histoire que l’architecte lui écrit au fur et mesure d’une discussion, d’un « crobard » (le fameux…) sur un coin de table devient aujourd’hui pleinement numérique. Pourquoi pas ? Il n’y a pas de mal à cela, il faut arrêter de penser que l’architecte rêve, dessine et ne sait pas construire.

A mon sens, pourtant, cette démarche nous pousse à nous délaisser de toute autre forme de langage. Nous perdons la parole : nous pourrions très bien concevoir avec le BIM sans aucune discussion. Nous perdons la maîtrise graphique : les rendus sont techniques et identiques. Nous ne savons plus utiliser les outils les plus rudimentaires -crayons, feutres- qui pourtant ne tombent jamais en panne, ne prennent pas de place et n’ont pas de virus.

Ainsi le monde change et nous devons réinventer notre métier. En ces termes, nous créons aussi une fracture claire et criante : l’architecte sans grande maîtrise informatique sera restreint aux maîtres d’ouvrage qui ne maîtrisent pas non plus l’outil informatique, travaillera donc « à l’ancienne ». Aura-t-il encore sa place parmi nos confrères ? L’Architecte des Bâtiments de France, le Conservateur d’une DRAC qui prennent une grand plaisir (et je les comprends parfois) à rappeler à leurs confrères qu’au XVIIIème Siècle on construisait aussi bien sinon mieux. Vont-ils être aussi voués à ne parler qu’entre eux, plus encore qu’aujourd’hui ?

Donc, l’informatisation, le numérique, sont une fin en soin : on ne fait plus d’architecture (ça fait perdre du temps), nous montons un fichier DAO.

Ainsi va la vie :
– Premier envoyeur : mail envoyé à 10h23 / Wetranfer à télécharger sous 7 jours
– L’autre : réception sur son smartphone, 10h45 / début du téléchargement à 10h53
– L’un : réception du téléchargement de l’autre
– L’autre : de retour à son agence, transmission du fichier téléchargé à son dessinateur / Le dessinateur étant en pose déjeuner, l’autre lui envoie par mail.
– Le dessinateur de l’autre : ouverture du fichier à 14h15 / par chance l’autre n’est pas loin :
– Le dessinateur de l’autre : « c’est bon, j’ai tout » ! Première parole à 14h26

Revenons donc un peu en arrière, avant de conclure : à la naissance des règlementations thermiques, sont venus les logiciels de calcul. Oui forcément à la main c’est plus compliqué. Au développement de ces logiciels sont venues les solutions techniques et leurs cordons de gaines de ventilation, de chauffage, de refroidissement, créant ainsi des plénums de plus en plus hauts et de moins en moins maîtrisés. Quelle solution ? Il aura fallu 10 ans pour que la solution soit trouvée : à un problème technique et informatique, nous avons la solution technique et informatique qui compense l’énormité des calculs thermiques : le BIM.

Merci le progrès, on y gagne c’est sûr…
Enfin, évitons, tant que nous le pouvons, l’opposition « French Tech » versus « l’époque des lampes à huile ». Non, essayons simplement de consentir que ce n’est pas l’outil qui fait l’architecte mais l’architecte qui crée son outil et essayons peut-être de reconnaître que les croquis de détails de Glen Murkett, les panneaux au cirage d’Aldo Rossi et Fabre / Speller sont aussi incroyables que les modélisations informatiques de l’agence de Frank Gehry, les images de synthèse de Jean Nouvel ou Zaha Hadid et que le béton de Ricciotti est en général à couper le souffle mais que c’est du béton et avant tout cela !

Hubert Garcia, architecte

2 commentaires au sujet de « L’avènement du BIM et de la révolution dite numérique »

  1. D'ANDREA

    Architecte - Village - 83136
    Cher Confrère,
    merci pour ce rappel, au combien nécessaire, sur les fondamentaux du métier que nous tentons d’exercer en toute indépendance du dicta des canaux subjectifs du numérique et particulièrement du BIM.
    Faire de cet outil l’avenir de la profession d’Architecte ouvre une voie royale aux Cabinets d’ingénierie pluridisciplinaire dans lesquels le rationalisme des ingénieurs et économistes de tous bords scléroseront le rêve , la créativité et la vision architecturale des générations à venir.
    L’Architecte exsangue, tombé sous les coups de boutoir du BIM annonçant l’avènement d’une architecture « objet » asservie aux techniques de production industrielle, ne sera plus le poil à gratter des politiques en charge de notre corporation .

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  2. Véronique TOUSSAINT

    Architecte - Ville > 50.000 habitants - 83400
    Cher confrère,
    J’entends ce cri d’alarme romantique et presque désuet sur l’outil au service du métier et non pas l’inverse.
    Toutefois, rappelle-toi, que nous sommes une profession qui porte l’avenir sur ses épaules, qui imagine le patrimoine de demain, alors pourquoi avoir peur des nouvelles technologies ? Maîtrisons-les ! Nous n’en serons que plus respectés.
    Car, la démarche BIM (qui est avant tout un travail collaboratif), s’appuie certes sur la maquette numérique en 3D, mais n’empêche en aucun cas de concevoir de l’Architecture et pourquoi pas par des croquis à la main tout au long du processus. Tous les outils sont à notre disposition. Ayons la compétence de choisir ceux qui nous paraissent les mieux adaptés, et la parole en fait partie.
    Je suis tellement désolée de t’entendre réduire le BIM à un simple échange de fichiers par internet ou de l’image de synthèse, car c’est bien mal connaître son enjeu : réduire les coûts d’exploitation-maintenance notamment (qui correspondent à 75% du prix de la vie d’un bâtiment sur 30 ans). A notre époque c’est loin d’être un petit défi.
    C’est pourquoi, je te propose de visionner une petite vidéo https://www.youtube.com/watch?v=iWPi3h8TSf4 qui vulgarise les opportunités du BIM.
    Tu as certainement raison de croire que la modélisation 3D n’est qu’une perte de temps. Rechercher des dossiers poussiéreux de DOE et DIUO, 3 jours d’affilée dans une cave pour entretenir un réseau d’eaux usées, c’est tellement plus valorisant.

    Pour conclure, je te rejoins sur un point. A la fin, c’est le résultat construit qui compte.
    Celui qu’il faudra savoir entretenir avec intelligence pour qu’il perdure au travers des générations à venir.

    Merci pour ta contribution qui enrichit l’échange sur ce thème si controversé.

    Pour mémoire : Les croquis à la main de Glenn Murcutt sont époustouflants et méritent à mon avis que le nom de leur auteur ne soit pas écorché.

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