« Dans mon imagination, une chose était informe non parce ce qu’elle n’avait pas de forme mais par comparaison avec de plus belles formes. En toute logique, j’aurais dû m’abstraire de toute référence à une forme quelconque pour me représenter quelque chose de totalement informe. J’en étais bien incapable.» (Saint Augustin – Les Aveux – Livre XII – Nouvelle traduction de Frédéric Boyer – P.O.L – 2008)
Depuis le lancement du projet de Grand Paris, les prises de position et les débats semblent s’organiser autour de deux grandes hypothèses urbaines.
La première considère que le système de transports inter-urbains, le fameux Grand Huit de 130km, sera le fondement de la métropole francilienne. Qu’il faut d’abord remédier aux maux des captifs harassés de la ligne 13 avant d’envisager toute nouvelle forme urbaine.
Que le monde de demain sera un monde de mobilité et de transports qu’il nous appartient désormais de programmer et de planifier.
Soit.
Selon cette perspective, plus temporelle que spatiale, le « caché » serait ainsi moins vertueux que le « visible ».
Fulgence Bienvenüe et Hector Guimard auraient aujourd’hui pas mal de soucis à se faire pour défendre leur métro aérien, les belles stations de métro, en infra ou en super-structure.
Certes, les habitants d’Ile-de-France veulent se déplacer vite, dans le confort et la sécurité pour se rendre à leur travail. Ils aspirent à réduire leur budget mensuel de transport. Mais les transports en commun ne sont pas comparables à un grand-huit de foire du trône ou à un train-fantôme. Ils sont le sel de la terre, de son labeur. Rien de ludique dans cette nécessité fonctionnelle et économique mais des besoins à satisfaire de manière rechnique et pragmatique.
La seconde position consiste à répéter qu’étendre la ville est aujourd’hui criminel pour notre descendance, qu’il convient maintenant de construire la ville sur la ville, que densifier toujours plus les noyaux urbains historiques est la seule voie possible.
Les défenseurs de cette conception passéiste opposent encore et toujours nature et ville, proche et lointain, cœur et ventre. Pour eux, la ville est un centre, un cœur où convergent toutes les artères. Obésité ? Menace d’ambolie ? Caillots ? Transplantations et cœurs artificiels existent…
Pourquoi cette volonté de concentration de l’urbain, ce refus d’un territoire également aménagé pour tous ? Est-ce parce que cela induirait une démocratie transversale et territoriale ?
Est-ce parce qu’un espace horizontal homogène serait finalement beaucoup plus doux et féminin que celui engendré par trop d’obssessions érectiles prétentieuses et conventionnelles?
Au nom de quoi le travail de l’architecte situé à 27 km de Notre-Dame serait moins utile et moins prestigieux que celui de l’architecte qui opère le cœur de Paris?
Pourquoi le volume conçu et bâtit en lisière d’une forêt aurait-il moins de présence qu’un immeuble de bureaux installé en bordure du boulevard périphérique ?
Finalement, quelquesoit la position défendue ou partagée, la véritable question reste toujours celle du visible : quels lieux fabriquons-nous ? Les lumières, les silences et les intériorités offerts sont-ils aussi harmonieux que ceux bâtis durant l’âge classique des XVIIe et XVIIIe siècle ? Sont-ils aussi efficaces que ceux de l’âge pré-moderne du XIXe siècle ? Les entre-deux sans limite générés par tous ces objets architecturaux célibataires, s’ils sont parfois fascinants pour le regard, sont-ils confortables pour l’habitant ?
Nous devons accepter le fait que la ville est un continuum d’hommes et de femmes enracinés dans différentes formes de natures apprivoisées. Un continuum peuplé d’oiseaux, d’automobiles, d’arbres, d’entreprises, de supermarchés et de logements qui organisent le travail et le social.
L’idée que le territoire peut nous offrir tous les types transports n’est pas seulement en germe. Elle est bien réelle et réclamée au quotidien par douze millions de Franciliens. Elle est entrain de prendre de nouvelles formes qui seront généralisables d’ici 10 à 20 ans : véhicules électriques, voitures autonomes, drones livreurs, avions, autobus et métros propres et silencieux.
Faut-il planifier tous ces réseaux en « infra » ou en « super » ? La question n’est déjà plus là.
Différons nos envies phantasmagoriques d’émergences dorées-bleutées pour le port de Gennevilliers ou pour le plateau royal de La Défense. Soyons réalistes, concrets, efficaces.
Travaillons pour que le visible advienne là où on ne l’attend pas. Dans les méandres où gît l’être le plus ordinaire. Sur les territoires délaissés et déconsidérés. Partout où règnent le laid, le vulgaire et l’ennui. Préservons tout ce qui n’est pas encore minéralisé.
Et quoiqu’en disent pas mal de néo-jacobins, décentraliser n’est pas disperser, c’est faux. C’est au contraire réintégrer. Frank Lloyd Wright le pressentait déjà en Mai 1930 dans l’une de ses conférences données à l’Université de Princeton (il était alors âgé de 64 ans) : « Comment ne pas croire que l’horizontalité et la liberté d’une beauté neuve finiront inévitablement par prendre la place d’une verticalité de circonstance et d’un rétrécissement absurde ? Et si pareils souhaits ne peuvent se réaliser dans la cité, s’ils n’y trouvent pas place, alors ils prendront la place de la cité. »
Le Grand Paris organisera l’apparition de cette beauté neuve, créatrice d’une cité vivante, naturelle et confortable, dans la mesure où les chimères des bâtisseurs seront réservées au champ exclusif de rares objets architecturaux qui ponctueront le jardin d’un Grand Paris durable.
Michel Bourdeau, architecte
Architecte - Ville > 50.000 habitants - 20000
M.Bourdeau dit tout et son contraire. Ou rien.
Il est binaire à opposer le downtown ithyphallique anecdotique pendant de l’urban sprawl à une ville horizontale sans limite. C’est justement cette suburbia. Soyons passéistes! Oui reterritorialisons le centre urbain contre l’option engagée d’un territoire urbanisé sans dehors. Autofiction où les hommes s’agglutinent sans fin et déconnectés d’un immédiat d’aire agricole et de nature, propice à la mondialisation, aux transports polluants, au détachement d’une appartenance opérative.
La densité douce s’inscrit dans cette résorption au continuum, à l’isotropie. Oui revendiquons des lieux, des lieux qui sont de densités et qui prennent sens en tant que pendants complémentaires à des aires de subsistances alimentaires locales et de nourritures terrestres pour les sens : une nature encore accessible sans devoir prendre l’avion! De la mesure. Et une réalité d’activités liée au territoire; une ville organique au sens où elle peut grandement se suffire en travail, en besoins fondamentaux (alimentation, valeur ajoutée, culture-s, activité-s primaire, secondaire et tertiaire). HfjR autoritecte Ajaccio