L’urbanisme collaboratif n’est pas une option mais une nécessité

- par Olivier Leclercq, Architecte, responsable associatif, Conseiller à l'Ordre des Architectes d'Ile de France. Comment fabriquer la ville ?

L’un des grands enjeux du développement des métropoles françaises est de construire des villes compactes pour limiter l’étalement urbain, rééquilibrer les inégalités territoriales et loger une population croissante. Or, créer de la densité implique davantage de promiscuité. Les nouvelles opérations immobilières bousculent les équilibres locaux et créent des situations conflictuelles. Les crises migratoires soumises à des enjeux transnationaux se télescopent avec notre territoire en mutation. Déjà apparaissent frictions, tensions et oppositions, plus ou moins justifiées, plus ou moins virulentes, toutes nées d’un vivre ensemble nécessaire mais sans projet de société concerté. Pourtant, les solutions sont à portée de main.

Vers des villes citoyennes

« Le citoyen est le premier destinataire de la Métropole » soulignait le géographe Michel Lussault. L’importance de la participation et du dialogue fait désormais partie des pratiques urbaines. Des démarches participatives voient le jour, poussées par des élus locaux ou des concours destinés à « réinventer » les villes. Ces initiatives embryonnaires, souffrant d’un manque de relais, permettent à quelques personnes disponibles de s’impliquer mais sont loin de constituer un processus collaboratif de fabrication de la ville.

De gré ou de force, les métropoles se métamorphosent. Aujourd’hui, les villes, grandes ou petites, tentent d’accueillir des réfugiés de guerre et économiques. Demain, ce seront des réfugiés climatiques, et qui sait d’autres crises encore. Un tiers de la population mondiale vit dans des bidonvilles, campements illicites, squats. Les métropoles françaises n’échappent pas à cette autre forme de mondialisation. Déjà rien que dans la Métropole du Grand-Paris, 8 000 personnes vivent dans un bidonville et 34 500[1] sont hébergées par le 115.

La France compte près de 4 millions de mal-logés en France[2]. Il faudrait construire 600 000 logement par an, dont 200 000 logements sociaux pour résorber la crise du logement, devenue aujourd’hui une crise sociale et politique.

Des verrous aux oppositions

Les grandes métropoles tardent à saisir l’opportunité de s’ouvrir à une autre forme d’urbanisme. Pour bon nombre d’acteurs du développement urbain, le permis de construire, dernière arme du citoyen, est considéré comme un frein à la construction. Au quotidien, chaque nouveau projet s’accompagne d’affrontements, d’oppositions, de recours, à tel point que certains élus ne veulent plus y risquer leur mandat, d’où l’adage « Maire bâtisseur, Maire battu ». Cette contradiction ne fait qu’empirer la situation, car moins on construit, plus la crise du logement s’aggrave, et plus on cherche à contourner le processus du permis de construire.

Le principe de gouvernance mis en place par exemple pour le Grand-Paris s’apparente à une technostructure centralisée, une organisation sur le format « descendant » (Top-Down) très éloigné de ses habitants. Dans ce schéma, il est impossible de lutter contre l’uniformisation des villes, de prendre en compte toutes les complexités fines qui se jouent à l’échelle locale. La construction de la ville sur la ville ne doit pas être subie mais doit au contraire être une opportunité pour offrir à chacun un logement et un cadre de vie digne.

Un nouveau type d’urbanisme

De nombreux dispositifs existent pour permettre à une très large population de s’approprier cette urbanisation et concrétiser un projet commun de fabrication de la Ville. En partie officialisé par la loi ALUR, le développement des coopératives d’habitats, des Organismes de Fonciers Solidaires (Community Land Trust), des auto-promotions et Sociétés d’Attributions, ouvre une nouvelle réflexion sur le foncier, sur la manière de construire de manière plus abordable et concertée, avec des matériaux sains et un supplément de qualité architecturale et urbaine.

D’un point de vue démocratique, l’intervention de la population dans les décisions d’urbanisme a été expérimentée dans de nombreux pays européens. Des actions telles que CivicWise[3], des cartographies participatives, des Col-Urbs ou Unlimited Cities[4], tous ces procédés misent sur la capacitation[5] citoyenne, c’est à dire la montée en compétence collective pour permettre d’exploiter l’intelligence d’un large public sur les questions du cadre de vie. Cet urbanisme collaboratif peut se faire par des mini-ateliers locaux disséminés sur tout le territoire et fédérés dans leur ensemble par une gouvernance « ascendante » (Bottom-up). Ces ateliers doivent faire appel à toutes les compétences locales, société civile et associative, élus, services d’urbanisme et architectes.

Enfin, de nombreuses associations et collectifs couvrent l’ensemble du territoire et agissent localement pour appréhender ces villes-monde dont certains développements sauvages et spontanés échappent à toute planification urbaine. Notre territoire en constante évolution regorge d’interstices, d’opportunités foncières temporaires, de friches, d’immeubles vacants qui offrent la possibilité de créer des passerelles vers la sortie du mal logement. Apparaissent çà et là des tiers-lieux, espaces temporaires d’expérimentations collectives, des constructions provisoires, légères ou mutables, des quartiers d’accueil pouvant absorber les variations de densités en fonction des crises migratoires. L’ouverture méthodique du dialogue avec le tissu associatif local permettrait d’envisager des solutions vertueuses par une forme d’urbanisme contemporain adapté à ces bouleversements sociétaux.

La ville compacte pour tous est une donnée écologique incontournable et urgente. Elle peut créer des situations conflictuelles si les individus n’échangent pas ensemble, tout comme offrir de belles opportunités de ville accueillante. L’urbanisme collaboratif peut réunir les intérêts de tous par la participation de chacun. Désormais, ce n’est plus une option, c’est une nécessité.

Olivier Leclercq, Architecte (AIR architectures), responsable associatif (Actes&Cités), Conseiller à l’Ordre des Architectes d’Ile de France

[1] Source DRIHL IF
[2] Source Rapport 2016 de la Fondation Abbé Pierre.
[3] CivicWise est une communauté ouverte qui a pour but de développer l’engagement citoyen en développant l’urbanisme collaboratif et en promouvant l’innovation civique.
[4] Application pour professionnels et société civile au profit des projets urbains www.unlimitedcities.org
[5] De l’anglicisme « Empowerment » : appropriation ou réappropriation de son pouvoir.

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