Réindustrialiser : un enjeu pour les villes et les territoires

- par Didier Bernateau, Consultant. Comment fabriquer la ville ?

Le constat des économistes et des géographes : Plusieurs ouvrages récents envisagent l’emploi productif dans sa dimension territoriale, que ce soit en termes de constats (« le mystère français » Seuil 2013 de  Hervé Le Bras et Emmanuel Tod et en particulier p 145-151 ou « la crise qui vient : la nouvelle fracture territoriale » Seuil 2012  de Laurent Davezies) ou de tentative de projection (« la troisième révolution industrielle » Palgrave 2011 de Jeremy Rifkin -même si ce dernier a tendance à bâtir la description des futurs systèmes sociaux et économiques sur des indices actuels encore marginaux en termes de flux). Ce n’est pas une découverte que les industries (polluantes ou pas) ont fui les centres villes, puis les banlieues reconquises depuis plusieurs décennies au profit de l’habitat parfois (pas systématiquement et pas à la suite) dans un processus de « gentryfication » et se sont finalement localisées dans les zones rurales.

Les cartes relevées à l’échelle de la commune de Tod et Le Bras sont édifiantes : les emplois industriels se sont repliés aux frontières des départements dans la profondeur rurale. Ces « frontières » sont par la construction administrative du début du XIXème siècle à « une journée à cheval » des capitales départementales urbaines…

Qu’advient-il quand un établissement ferme ? Faute d’un bassin dense d’offre d’emploi, faute de moyens de mobilité dans une aire distendue, les employés ne retrouvent pas de nouvel employeur. Et si une entreprise envisage d’implanter un module productif dans ces aires, elle sera confrontée à un problème de bassin de main d’œuvre à « isochrone plausible » le plus souvent insuffisant en taille voire en compétences spécifiques.

Une réimplantation devient un exercice très volontariste, coûteux, demandant de s’appuyer sur les atouts objectifs forts : réemploi de l’immobilier, savoir-faire et compétences récupérables, environnement logistique cohérent, volonté et innovation des acteurs du territoire dont les collectivités, gros porteur industriel volontaire…

La tendance naturelle et qui se lit dans les cartes du « mystère français » est l’évaporation de l’emploi productif qui a fini par s’implanter aux marches départementales et la non-réversibilité du phénomène. Laurent Davezies corrobore ces constats aux échelles macro-régionales.

Mais l’emploi « productif » est –il une condition de la richesse des territoires ? Jean Viard dans son ouvrage « Nouveau portait de la France »( l’Aube 2011) souligne que seulement 20% de l’activité humaine dans une société sert à produire des objets tandis que plus de 60% sont des services entre les personnes (et les 20% restant dédiés à l’administration et la réalisation des infrastructures et de l’immobilier, par essence activités locales). Un certain optimisme avait conduit les collectivités et leurs gouvernants à considérer que « l’économie présentielle » ou « l’économie résidentielle » pourrait suffire à entretenir la croissance économique de leur territoire sans se préoccuper outre mesure de « l’économie concurrentielle », en ne voulant comprendre d’un précédent ouvrage de Laurent Davezies « la république et ses territoires» (Seuil/la république des idées) paru en 2008 que ce message rassurant : la résilience voire la croissance économique ne nécessite pas d’effort particulier fléché vers le secteur productif…

La « fausse bonne idée » de l’économie résidentielle
Mais cette idée qui consistait à croire que l’économie concurrentielle et productive n’était pas nécessaire dans l’équilibre des emplois sur un territoire et dans l’économie globale d’une nation s’est révélée infondée ; Certes, on a pu expliquer un temps que dans la chaîne de valeur des entreprises (allant de la stratégie, la R&D, l’ingénierie, le prototypage et la pré-industrialisation, la production, la vente, le SAV et jusqu’à la relation client) la valeur résidait désormais dans les maillons amont et aval (stratégie, R&D, service et relation client) et que la production en tant que telle pouvait être délocalisée voire sous-traitée là où les coûts de production était les plus avantageux, généralement du fait des coûts de main d’œuvre. Mais ce calcul s’est avéré court-termiste et dévastateur pour les territoires et économiquement absurde, et commence à se révéler dangereux du fait de plusieurs évolutions (sociétales, environnementales et technologiques) non prises en compte dans le raisonnement initial.

Le vécu de ces délocalisations atteste déjà du caractère hâtif des décisions de transfert des modules de production : ce ne sont à terme pas seulement les maillons de la production qui se délocalisent mais tous les maillons amont voire avals (cf. la localisation des « help desks » et la relocalisation des centres de décision) ; ceci entraîne un appauvrissement de la masse des consommateurs non seulement issu du maillon productif, mais des autres CSP qui étaient employés dans les autres maillons ;

Mais surtout la structure et la nature de la production, de la distribution et de l’échange des biens et services est en train d’évoluer considérablement, de même que le transport et le coût de la logistique et de l’énergie.

Ce sont ces derniers constats qui nécessitent d’accélérer et de reconsidérer une « réindustrialisation » de l’économie au plus près des territoires, tout en revisitant ce que ce terme peut recouvrir.

Pourquoi, comment, quoi réindustrialiser
Plusieurs facteurs se conjuguent ainsi pour revoir les implantions de « modules productifs » en lien étroit avec les territoires : des facteurs déjà existants et à l’œuvre, des facteurs associés aux évolutions technologiques et sociétales.

Les facteurs déjà existants
La mise à l’évidence des facteurs déjà connus est partie du questionnement du postulat selon lequel mondialisation était synonyme inéluctable de délocalisation ; du postulat que les territoires mis en compétition au niveau mondial sont soumis à la loi du moins disant social et salarial. Mais les « facteurs de meilleure rentabilité  » de l’entreprise posent en fait des questions que seuls les territoires peuvent résoudre :

  • une entreprise dans la concurrence mondiale va implanter non pas toutes ses fonctions d’entreprise, mais des sous-ensembles correspondant à ses fonctions de la chaîne de valeur déjà citée : stratégie et décision, recherche et développement, ingénierie- études, pré-industrialisation et prototypage, production, marketing vente et après-vente avec des fonctions support telles que la logistique, la distribution etc. Chaque fonction exige un environnement optimal pour être la mieux servie « individuellement ». Il en résulte que les fonctions amont font appel à des cadres et chercheurs de haut niveau, exigeant un environnement de haute qualité, stimulant et créatif, tandis que les fonctions de production s’implantent dans des milieux à faible coût, à faible risque, stables et avec un coût de transport compatible avec les produits et les marchés  (toutefois la qualité de la production n’est pas inséparable des territoires, de même que l’image de marque de ces territoires : « made in… ») ; les fonctions de vente sont localisées dans les bassins de consommation ou de logistique. Cette optimisation spécialise les territoires selon leur actifs et leurs capacités, et de fait crée une « territorialisation » des fonctions et des entreprises
  • l’évolution de la concurrence fait s’opérer des transferts stratégiques dans les investissements des grands groupes. Après la délocalisation de la production, vient maintenant la délocalisation des fonctions de R&D, qui sont transférées aux sous-traitants, tandis que la « maison mère » se concentre là où le rapport capital/dividende est le plus rentable, stratégie, marketing et « CRM ». Du coup, les territoires captent à nouveau des fonctions à valeur ajoutée fortes et nécessitant des moyens humains, en recherche, en formation, en capacité de collaboration entre sous-ensembles productifs, en capacités collaboratives entre centres universitaires et publics de recherche, centres privés, en potentiel d’émergence de sociétés innovantes
  • enfin, cette concentration de valeur dans les fonctions immatérielles de l’entreprise mondiale facilite les décisions d’arrêt et reprise de production, encaissées par les territoires de sous-traitance : ces territoires, pour rester compétitif et garder leur part de production doivent donc être résilients économiquement:. Ils doivent asseoir leur outil de production sur des savoirs et des marchés compatibles et dont les cycles ne sont pas défaillants simultanément, ils doivent être capable de faire du transfert de compétences et d’innovation d’une filière économique à une autre car du coup la concurrence s’établit aussi sur la capacité à proposer de l’innovation hors de l’entreprise. Les outils de production doivent être amortis par une mutualisation bien gérée entre les structures sous-traitantes au sein d’une filière et entre filières. Cette mutualisation n’est pas en soi « naturelle » et demande une intervention et des investissements de la puissance publique, compatible avec les règles de concurrence. Sur un autre aspect, la résilience c’est aussi la capacité à imprimer une image de qualité compatible avec d’éventuels surcoûts de production: qualité de la main-d’œuvre et du produit fini, qualité et reconnaissance du design et de l’innovation (exemple de Turin et du Piemont qui ont relocalisé depuis de début des années 2000 un grand nombre d’entreprises dans ce territoire, cf. « design & industry in piemont » Claudio Germak , Umberto Allemandi & C 2008)

La prise en compte des coûts réels de la production en intégrant les coûts de la logistique et des déplacements par exemple en utilisant la métrique des bilans carbones sur le cycle complet production/ distribution/recyclage, et surtout leur internalisation financière va nécessairement, au-delà de principes purement éthiques, faire évoluer le rapport entre les territoires de production et les territoires de consommation et réintroduire dans les facteurs de compétitivité les coûts réels de transport. Sans revenir à la « tyrannie de la distance » que Paul Bairoch définit comme paramètre structurant de l’implantation et la taille des villes (in « de Jéricho à Mexico : l’économie des villes » Gallimard 1985) il est certain qu’une attention particulière doit désormais être portée aux vertus des cycles courts.

Les filières qui s’occupent de flux de matières pondéreuses, et au premier rang desquelles la construction et en dépendance les énergies d’exploitation associées sont à l’évidence immédiatement dans cette problématique de resserrement des distances. Dans cette optique, les filières créent aussi les conditions de leur performance en déployant des cycles courts sur un territoire qui à la fois offre un marché sans risque, une proximité de la commande, une très bonne compréhension des besoins, et une réactivité forte : dans la chaîne de valeur de l’entreprise, le circuit court privilégie les maillons aval de la relation client et de sa réinjection dans la stratégie des produits. Il s’agit d’une véritable « économie résidentielle étendue »  en symétrie du concept de « l’entreprise étendue » qui, elle, s’applique aux maillons amont de la chaîne de valeur.

Spécialisation mais aussi résilience, capacité collaborative, complémentarité des filières, support de l’économie résidentielle, capacité R&D et innovation, qualité de vie pour les employés…ces facteurs ne peuvent être construits que dans des territoires avec des hommes et des entreprises, des universités et des laboratoires, des systèmes institutionnels publics et mixtes ou privés, et dans des temps longs qui ne sont pas ceux des cycles industriels ni a fortiori décisionnels : le temps de l’aménagement et des collectivités, des infrastructures et des savoirs hérités et développés…

Ces éléments sont le plus souvent incarnés dans la création et l’animation de « clusters » d’entreprises, qui déclinent sur un territoire plus ou moins étendu une continuité de savoir-faire et de compétences, qui travaillent avec des centres de formation et universités, qui partagent des moyens communs ( logistique, fonctions supports, plateformes technologiques de R&D, voire de pré-production, de prototypage, de test et jusqu’à des plateformes de production, de calcul, etc.)

Des facteurs en émergence : les facteurs associés aux évolutions technologiques et sociétales
Deux évolutions technologiques (au moins…) sont susceptibles de faire évoluer le schéma traditionnel de la chaîne de valeur dans son déroulé et aussi dans la pondération de l’importance des maillons qui la constituent :

  • La « révolution numérique » – qui est en fait en cours depuis le milieu des années 1970 et qui a déjà largement contribué à accompagner les décisions stratégiques des grandes entreprises sur leur localisation et l’émiettement de leurs implantations par fonction grâce au support des systèmes d’information (ERP), à la bureautique et aux réseaux, à Internet et à l’économie numérique ; La révolution numérique a accompagné et favorisé cette première phase de mondialisation ; mais un nouveau tournant s’opère de façon accélérée, cette fois-ci dans les maillons de la production et dans la meilleure liaison entre la production et les autres maillons, grâce à plusieurs évolutions – en innovation de rupture ou en accumulation d’innovations déjà existantes et mises en connexion ; par exemple (liste non exhaustive) le couplage des robots de production et les modèles numériques des objets et de leur environnement (exemple l’imprimante 3D qui permet de réaliser assez simplement des prototypes voire des petites productions, mais aussi exemple des machines-outils à découpe laser –technologie présente depuis plus de 30 ans-  associées à des modèles numériques plus complexes et surtout dans des assemblages collaboratifs; « la fabrication additive » basée sur des équipements capable de produire des pièces métalliques à partir de modèles et de processus numériques ), grâce aussi aux progrès des systèmes collaboratifs en temps réel qui peuvent éviter des grands regroupements d’ingénierie et qui en tous cas introduisent directement le consommateur ou l’usager dans la définition , la conception sinon la réalisation du produit. Enfin il faut aussi noter les systèmes de type BIM qui intègrent la possibilité d’une réalisation et d’une fiabilité industrielles dans des processus très manuels : on peut imaginer que l’assemblage de certains produits ne nécessiterait plus une chaîne dans des locaux industriels avec économie d’échelle. Ainsi la concentration et la spécialisation qui ont pu résulter des processus à l’œuvre dans l’économie industrielle et la mondialisation sont des effets que la nouvelle révolution numérique peut inverser.
  • La « révolution énergétique» ou la « troisième révolution industrielle » (J Rifkin) qui au-delà de la relocalisation de la production de l’énergie au plus près des territoires de leur utilisation (selon un calendrier qui peut encore se retarder avec la découverte et l’utilisation de nouveaux gisements d’énergie fossile, ou avec l’optimisation des coûts de transport de masse) ne peut qu’engendrer une redistribution des productions et des services, et une relocalisation des résidents. Il faut aussi souligner que cette anticipation s’appuie sur de nouvelles technologies locales de production, sur l’anticipation de technologies de stockage de l’énergie et sur l’optimisation de la distribution grâce aux technologies numériques permettant une bourse d’échange énergétique temps réel. La relocalisation des biens et services est une affirmation qui n’est pas aussi prophétique qu’il peut y paraître. Il faut visualiser ce qu’étaient les territoires avant la révolution industrielle du XIXème siècle et notamment le rôle prépondérant de l’énergie motrice des époques antérieures, à savoir principalement les courants d’eau et les moulins à eau : scieries (et donc une partie de la construction des bâtiments et des éléments de navire), forges (cf.les forges de Buffon en Bourgogne) papeteries (cf.la dernière papeterie de ce type en activité à Ambert en Haute-Loire), minoteries fileries et autres industries (cf. les tableaux de Courbet sur la Loue)  étaient de fait ancrées dans le territoire avec les emplois et savoir-faire correspondants. De même le bois et la fabrication de charbon de bois localisaient les industries à haute consommation énergétique avant l’abaissement des coûts de transport –cf. la localisation d’Arc-en-Senan par Ledoux fin XIIIème en reportant d’une trentaine de kilomètres les industries des Salines de Chaux vers le centre d’un bassin forestier pour optimiser la proximité du charbon de bois et obtenir à moindre coût le sel à partir du chauffage de l’eau saumurée (elle-même transportée à coût marginal par des tuyaux). Il y avait de fait obligation de « circuit-court » ! L’énergie façonnait le territoire par les activités qu’elle permettait et les savoir-faire qui s’y accumulaient alors. Les industries s’ancraient non seulement grâce aux avantages naturels du coût énergétique mais aussi grâce à l’amélioration constante des processus répétés au sein d’une communauté stable et la faculté d’innovation qui en résultait.

Ces deux évolutions ouvrent plusieurs voies mais surtout une voie de relocalisation possible des systèmes productifs « dans la cité », dans le territoire urbain ; Des systèmes productifs non polluants, avec une logistique limitée et avec une utilisation énergétique mutualisée. Des systèmes productifs collaboratifs et sur de petites unités implantées dans chaque territoire. Des systèmes productifs accélérant les effets de cluster et de plateformes mutualisées par le partage d’information et l’économie de matière et d’énergie. Enfin des systèmes productifs produisant au plus juste des besoins locaux dans un territoire donné et au plus juste coût intégrant les externalités (transport, pollution, emploi local, recyclage…).

D’autres évolutions, sociétales, sont aujourd’hui révélées et décrites ( cf. J Rifkin « la nouvelle société du coût marginal zéro » LLL 2014) en lien d’ailleurs avec les révolutions technologiques qui les facilitent. Même s’il est difficile de dire s’il s’agit d’une mode ou d’une tendance inéluctable, nous pouvons déjà en voir des effets.

  • Il s’agit d’une part de l’émergence accrue de la participation des utilisateurs dans leur espace et leur économie, dans la définition des biens et services et dans l’acceptabilité de ce qui leur est proposé, dans l’accessibilité aux informations de consommation et dans la production et la mise en commun de ces mêmes informations- constituant par elle-même une valeur.
  • Il s’agit aussi de l’économie du partage ou « sharing economy » dans laquelle l’usager ne possède plus l’objet ou plus à temps complet (automobile, bien immobilier, outil, vêtement…) mais le prend en location pour le temps de son usage et au moment où il en a besoin, en allant chercher ce service sur  une bourse numérique accessible. Cette évolution, déjà décrite par J Rifkin (« l’âge de l’accès » Essai poche 2005) il y a plus de 10 ans mais dans un contexte où les grandes entreprises ne cherchaient plus à faire acheter un bien mais un service, limite nécessairement le nombre de biens et objets ainsi « mutualisés » et peut exiger un niveau de fiabilité, de capacité de maintenance locale, de proximité et disponibilité client/fournisseur qui plaide pour une réinternalisation urbaine de modules de production. Elle implique aussi de redéfinir la logistique urbaine et d’y intégrer une « logistique de l’échange » totalement différente de la logistique actuelle où l’objet est amené près du consommateur ou de l’utilisateur qui le conserve dans son espace propre et ne le fait circuler au mieux que 10 à 30% du temps d’utilisation. Si on associe cette remarque avec l’analyse des nouveaux modes productifs nécessitants eux-mêmes moins de matière, c’est tout l’espace logistique qui en est réformé ; c’est aussi une nouvelle conception entre producteur et utilisateur…

Quoiqu’il en soit ces « modules de production » ne pourront plus être éloignés des aménités urbaines ou d’une qualité de vie  avérée : l’accroissement des qualifications qui seront requises tant en termes technologiques que entrepreneuriaux rend définitivement obsolescents et disqualifiés des centres industriels isolés dans la ruralité par manque d’attractivité pour ces nouveaux employés.

Le « désir de territoire » devient un élément important de la localisation des personnes qui peuvent créer de la valeur dans les nouvelles formes de production : « on a envie de travailler là où on a envie de passer des vacances ». A l’évidence le tourisme, les loisirs et la culture sont des ingrédients de revalorisation des territoires et des villes comme Metz, Lens, après Bilbao ( et « l’effet Bilbao ») s’en inspirent.

Réindustrialiser, c’est aussi requalifier le territoire, et aux yeux d’une population ciblée créative et active qui entraînera à sa suite les autres maillons de la chaîne de valeur, revisitée, moins tant axée sur le consommateur passif et captif que sur un consommateur-acteur, mobile, dont la fidélité dépendra à chaque moment de son parcours de vie de la qualité des aménités offertes ou développables.

Des axes de mutation pour les opérateurs de l’aménagement des territoires…
Une illustration peut en être donnée par le concept de « ville intelligente  ou de « smart city ».
Ce concept recouvre des définitions multiples et imbriquées : il s’agit d’une part d’un quartier urbain équipé en infrastructures et applications associés à des technologies et services (réseaux très haut débit, application permettant la gestion intelligente de la production et consommation d’énergie, de la gestion de la mobilité, de la gestion de données personnelles et collectives-open data, …), d’autre part d’un  quartier accueillant, du fait de ses aménités,  un quasi-cluster d’entreprises de « l’économie cognitive » partiellement dématérialisée et dans le champ de l’économie productive et concurrentielle, mais il s’agit aussi d’une communauté « citoyenne » qui est à la fois productrice et consommatrice de l’information ( en « open data » ou non), gérée par la puissance publique ou par le marché, dans une logique d’économie résidentielle et locale des services, et qui questionne le rôle de la sécurisation des données personnelles sinon de la gouvernance ; cette communauté serait aussi celle qui nourrirait les clusters de ses compétences, au moins pour une fraction  …

Un tel concept interpelle la capacité de l’aménageur à mobiliser des expertises internes directes ou en assistance à maîtrise d’ouvrage et coordination dans des domaines technologiques avancés, à constituer et/ou accompagner les entités publiques dans une stratégie économique de type cluster dans des filières TIC , à animer des communautés locales et enfin sa capacité de financer tant les infrastructures spécifiques que le portage éventuel d’un immobilier financiarisé.

Cet exemple met en lumière plusieurs niveaux nécessaires à l’accomplissement de tels projets, qui peuvent être regroupés en quatre axes majeurs :

  1. l’assistance à la vision et la traduction des stratégies urbaines et économiques dans un univers urbain aux enjeux renouvelés, dont celui de la « réindustrialisation » ou plutôt de la réimplantation des modules productifs dans l’espace urbain ( lui-même requalifié),
  2. le renforcement des expertises techniques (technologiques, juridiques, financières, sociales) directes en propre, en capacité d’assemblage et d’animation et/ou en partenariat,
  3. la capacité à interfacer avec la société civile : prolonger le jeu des acteurs tant en amont sur la définition des usages et des processus de production pour rencontrer ces usages qu’en aval pour en comprendre et préparer les flux d’échange,
  4. l’intervention adaptée dans les processus de financement et la capacité à effectuer des partenariats dans ce domaine- notamment du fait des nouveaux modèles économiques.

Ces quatre « compétences » à renforcer ou créer n’effacent pas pour autant les qualités héritées de la pratique de l’aménageur : la combinaison des échelles de temps et de territoire, l’animation du jeu des acteurs publics et privés, la maîtrise des péréquations au service de l’intérêt général et le sens opérationnel.

C’est même en s’appuyant sur ce capital de valeurs et de qualités reconnues et dans la continuité de son « ADN » que l’aménageur pourra notamment aborder un ensemble de domaines qui participent au politiques de développement territorial et légitimer son positionnement amont stratégique. C’est en continuité avec sa pratique du jeu des acteurs public et privés, que l’aménageur pourra concrétiser les partenariats nécessaires à l’accomplissement de ses nouvelles missions dans sa capacité à trouver des montages appropriés .

Mais enfin et surtout, les nouveaux modes de production et de collaborations ouvrent de nouvelles combinaisons de lieux, de mixités et d’espaces dans la ville et dans la ruralité, à programmer en fonction de ces évolutions et  destinées à les accompagner, voire les susciter et les favoriser. De même que l’opérateur de l’aménagement, quel qu’il soit ( public, mixte ou privé) doit s’intéresser aux contenus et à leur production, de même l’architecte projette des usages pour la société de demain qui ne sera pas seulement celle de la production émiettée et ‘ubérisée » , de la consommation et du marketing, mais celle des collaborations ancrées dans les territoires dans des circuits lisibles.


Didier Bernateau, Consultant et ancien enseignant à l’Ecole des Ponts

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