Le mouvement moderne (au XXème siècle) a su sortir l’architecture de l’espace de représentation …, vous connaissez : ces frontons ridicules, ces Atlas soutenant des balcons, ces ordres néo-classiques…, toute une pâtisserie qui ne servait qu’à en imposer. Il nous a installés dans un espace à vivre avec nos corps, nos sensations, nos émotions, nos usages, notre imagination. Il nous a remis en contact avec l’essentiel : la lumière, le soleil, le vent, l’eau, la vue (« conditions de nature » : balbutiements de l’architecture écologique) dans une architecture réalisée par les moyens techniques économiques pour la rendre accessible à un plus grand nombre.Pour ces mêmes raisons d’économie, le mouvement moderne a fait alliance avec l’industrie. Une certaine industrie…
Celle qui n’est pas restée industrieuse… qui a trahi, qui est devenue de plus en plus cupide (déterminée par le cynisme froid de la bourse), qui a perdu sa conscience (elle préfère ce qui se vend à ce qui est urgemment nécessaire).
L’idéalisme des architectes du mouvement moderne ne leur a peut-être pas permis de percevoir qu’une bonne partie de l’industrie de l’époque était déjà dans cette attitude là (en moins massif qu’aujourd’hui).
Limiter, circonscrire le recours à cette industrie-là me semble aujourd’hui une urgence morale.
Aussi : renouer avec les ressources et les techniques de transformation locales est un des chemins possibles d’épanouissement, d’éblouissement, de renouvellement, de diversification.
C’est une ouverture qui évite de percuter le mur que construit inlassablement l’uniformisation industrielle et commerciale généralisée mondialisée.
Cet infléchissement a des tas d’avantages collatéraux :
Il fabrique de « l’être là ».
Il équilibre le territoire (diminution de la pression sur les villes qui sont aujourd’hui complètement débordées)
Il redynamise des espaces désertés
Il personnalise les constructions : quelqu’un d’identifiable a fait quelque chose d’identifié.
Il ouvre l’imagination créatrice…
Je veux donner quelques exemples de ces gestes-là :
Les lavaBEAUx faits par le potier remplissent leur usage à un prix comparable à celui des lavabos industriels sur catalogue sauf que cette dépense ne contient pas le prix de panneaux publicitaires, n’induit aucun entretien d’infrastructures lourdes et ne rémunère aucun actionnaire… c’est quand même plus propre ! (de plus le potier ne fait pas d’optimisation fiscale… !)
Nos dernières poignées en bois flottés ou galets donnent toute satisfaction et amusent le chantier.
Nos commandes à distance par ficelles fonctionnent tranquillement.
Nous coffrons parfois sur ou avec de la terre dalles ou pieds de poteaux.
Nous avons fait des moellons de sciure car de la sciure était là abondante et ici, où elle l’était aussi, nous avons isolé le plancher.
Nous ferons sans doute bientôt des moellons en rafle de raisin, des gargouilles en terre cuite, des murs terre-paille enduits terre (à Monoblet)…
Nous attendons de convaincre depuis 20 ans pour faire des séparations intérieures en béton terre-plâtre (nos échantillons prennent la poussière depuis) ; convaincre la technocratie (qui a fait de longue études et a couté cher à l’état) de l’urgence vitale du renouvellement technique n’est pas une mince histoire.
Voilà quelques extraits d’un programme en route depuis trois bonnes dizaines d’années…un livre s’en prépare qui dira plus longuement.
Vive donc l’ouverture imaginative à ce qui est ici.
Moins transporter ce qui est lourd n’a jamais empêché que les idées s’échangent très loin. Je rêve d’un monde où la circulation des marchandises soit limitée pour lui préférer la circulation des humains. Favoriser le déplacement de l’inerte pesant est juste une erreur historique.
Yves Perret, Architecte
* « Révéler les ressources locales, source de repli ou d’épanouissement ? »
Thème proposé par le CAUE de l’Isère pour son AG Automne 2016