« Pour s’améliorer, il faut changer »

- par Jean-François ESPAGNO. Transformons nos métiers !

Notre (beau) métier traîne 3 problèmes majeurs :
1.    Les 2/3 de tout ce qui se construit nous échappent, ce qui est un échec lourd de notre profession.
2.    Notre créativité est bridée par les règlements d’urbanisme stupides (je pense essentiellement aux articles 11 des PLU), qui s’appliquent de la même façon aux architectes, professionnels de la conception architecturale, qu’à n’importe quel néophyte en la matière. C’est catastrophique pour la qualité publique de la conception architecturale et humiliant pour les architectes.
3.    Nous sommes jugés responsables de tout et de n’importe quoi – et de n’importe qui – ce qui est inacceptable et, là aussi, humiliant. Nous ne sommes pas des mules que l’on peut charger à l’envi.

Je pose ici le problème majeur n°1, puisqu’il correspond à l’une des questions posées : « transformons nos métiers ! » (même s’il est curieux de dire qu’il faut transformer son métier pour que nous trouvions notre clientèle naturelle, finalement).

Une profession (la nôtre, les architectes) n’intervient que dans 1/3 de son domaine d’activité. Dans ce 1/3, « océan rouge », nos honoraires sont trop faibles, la commande est mal répartie, nos missions sont sans cesse rognées.

Les 2/3 du « bâtiment », « océan bleu », sont à peu près vides d’architectes, d’autres professionnels y ont pris notre place : il s’agit de la clientèle des Particuliers (j’entends par là les non-professionnels de la construction, qui représentent environ le double des marchés publics + promoteurs immobiliers).

Or, il se trouve que nous sommes la meilleure solution pour construire (bâtiments mieux conçus, mieux faits grâce à notre indépendance des entreprises, moins chers – par exemple notre rémunération est inférieure à la moitié de la marge d’un cmi). Et il se trouve aussi que nous avons globalement une bonne image auprès de cette clientèle (qui préfèrerait, par exemple, une maison d’architecte plutôt qu’une maison « pas-d’architecte »).

Alors, que faire ?
Tout en restant architectes libéral (surtout ne pas devenir constructeur, car ce serait la fin des architectes), il faut – un peu – adapter notre pratique pour convenir à cette clientèle. Celle que nous utilisons habituellement pour les marchés publics et pour les promoteurs immobiliers, ne lui convient pas vraiment.

Je m’intéresse à ce problème depuis très longtemps. J’ai repéré 4 points d’achoppement essentiels (en voyez-vous d’autres ?) :
1.    Il faut un contrat où le budget exact du client sera respecté. Un particulier qui a 200000€ n’a pas 220000€.
2.    Il faut une démarche commerciale, c’est-à-dire savoir instaurer une bonne relation-client (eh oui, je sais que c’est souvent le point qui fâche – je demande bien pourquoi ? -, mais mieux vaut un client convaincu qu’un client forcé à nous subir).
3.    Il faut une pratique simplifiée de notre maîtrise d’œuvre, pour correspondre aux attentes de clients néophytes qui ne comprennent rien à l’architecte. Ce sont des clients et non pas des maîtres d’ouvrage.
4.    Enfin, il faut être visible, pour que les clients puissent nous trouver, nous repérer comme étant en mesure de répondre à leurs attentes.

Pour surmonter ces obstacles, nous devons – juste un peu – nous remettre en question. C’est là un 5° point d’achoppement, et pas le moindre.

« Rien ne nous dit que l’on s’améliore en changeant, mais une chose est sûre : pour s’améliorer, il faut changer ».  Winston CHURCHILL

Une expérience de cette adaptation à cette immense clientèle délaissée est en cours : il s’agit des Architectes d’Aujourd’hui.

Jean-François ESPAGNO, architecte (31100)

5 commentaires au sujet de « « Pour s’améliorer, il faut changer » »

  1. Eric OBERSON

    Architecte - Ville > 50.000 habitants - 74000
    Dans beaucoup de voies de la sagesse, il est dit que la réponse est dans la question.
    1/ Pourquoi les 2/3 de ce qui se construit échappe à l’architecte ?
    Mais tout simplement parce qu’un territoire abandonné finit toujours pas trouver preneur. On a ensuite beau jeu de faire valoir des droits un temps délaissés ;
    Les jeunes générations peuvent remercier leurs aînés !
    2/ L’article 11 des PLU ?
    Mais n’est-il pas élaboré par des équipes d’urbanisme pluri-disciplinaires ? Le PLU est un document négocié entre divers acteurs, encadré par le pouvoir régalien, les outils réglementaires et les politiques publiques… Il suffirait de ne pas « baisser la culotte »… La tâche est plus ardue, il est vrai !
    3/ L’architecte est-il jugé plus coupable, et plus humilié que le commun ?
    Peut-être… Est-ce bien certain ? Encore faudrait-il définir la nature du bât.

    Dans cet océan multicolore, pourquoi attaquer les architecteurs ?
    J’ai pu occasionnellement observer des productions de bien meilleures qualités techniques et esthétiques que bien des km2 de promotions immobilières de logements et de bureaux signés par des architectes prétendument indépendants…

    Quand à savoir que faire :
    1/ Les contrats d’architecte prévoient déjà les seuils de dépenses à respecter.
    2/ Faire de la publicité, mais pourquoi donc ? Un travail de qualité suivant un rapport de prix raisonnable suffit le plus souvent à un « bouche à oreille » efficace.
    Par contre, évitons de trop nous attarder sur la question des marchés publiques… Celle-ci fâche réellement.
    3 et 4/ Certes, le commanditaire de l’ouvrage est un client… Mais c’est aussi un maître d’ouvrage ! Et il ne tient qu’à l’architecte de bien savoir présenter de manière claire et honnête ce à quoi s’expose le maître d’ouvrage pour chacune de ses décisions. C’est personnellement ce que je m’applique à faire avec les bailleurs sociaux, et les syndics et membres des conseils syndicaux qui forment ma clientèle. Plutôt que se plaindre de son bât, il convient de bien connaître le bât de son client : Voilà qui inspire confiance !

    Nul besoin de ré-inventer l’eau chaude pour cela.

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    1. Jean-François ESPAGNO

      Architecte - Métropole - 31100
      Je ne réponds qu’au problème de la petite surface de clientèle des architectes (environ 1/3 seulement de tout ce qui se construit), car c’est un des sujets posés ici (« Transformons nos métiers ! »).
      Les jeunes générations et les aînés : en fait, les architectes n’ont jamais eu vraiment la clientèle des particuliers (les 2/3 de ce qui se construit). « Autrefois », les architectes étaient si peu nombreux qu’ils n’auraient pas pu traiter cette clientèle, et ils s’en sont détournés – ils ont eu bien tort.
      Mais la jeune génération veut-elle vraiment avoir cette clientèle ? Même si les architectes actuellement s’y intéressent beaucoup plus qu’autrefois, globalement ils ne se donnent pas les moyens de prendre ce marché (je ne parle pas d’argent, en parlant de « moyens », bien sûr). Rien ne nous empêche actuellement d’avoir la majorité de cette clientèle, et nous sommes même mieux armés que les autres professionnels qui nous concurrencent. J’espère que bientôt (dans les années qui viennent), les architectes prendront cette clientèle. Et je suis même assez confiant pour cela.
      Contrats : des « seuils de dépenses » ? Pour les clients, il faut une certitude que leur budget sera exactement respecté, sans marge de tolérance. L’imprécision les fait fuir – je les comprends.
      Publicité : « pourquoi faire de la publicité ? ». Ca me semble tellement évident que je ne sais pas quoi répondre… Si ce n’est qu’il ne faut pas se contenter de « publicité », bien sûr, ni même de « communication », mais qu’il nous faire du « marketing », qui est une démarche de relation-client bien plus complète et professionnelle. En refusant de s’intéresser à la relation-client, nous resterons exclus du marché des Particuliers.
      Nous ne transformerons pas tous les Particuliers – qui sont des clients – en maîtres d’ouvrage, j’en suis persuadé. Ce n’est qu’un professionnel qui aura affaire plusieurs fois avec un architecte qui pourra apprendre à devenir un maître d’ouvrage. Pas un simple particulier-client-unique. D’ailleurs, il s’en moque d’être un maître d’ouvrage ou non, ce qu’il veut, c’est : (au choix) une maison, un garage, un restaurant, un hangar, ses futurs bureaux, etc.

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    2. Jean Francois ESPAGNO

      Architecte - Métropole - 31100
      Je m’aperçois que je n’ai pas répondu sur les architecteurs. Je n’attaque pas les architecteurs ; je pense même qu’ils sont en général de meilleurs constructeurs que les autres « sociétés cmi » qui ne sont pas dirigées par un architecte. En fait, je n’attaque personne, mais je déplore plutôt quelque chose : l’existence du contrat de construction de maison individuelle (ccmi).
      Pourquoi ? Parce qu’il instaure une relation négative entre le professionnel (cmi) et son client. Il nie le contexte dans lequel se produit un bâtiment. Je m’explique : à l’inverse de l’achet d’un produit industrialisé, faire construire un bâtiment impose au client de s’engager avant tout début de réalisation effective du bien qu’il achète. Quand le client signe, il n’a rien sur son terrain. Le client est donc obligé de faire un pari sur l’avenir. C’est pour cela qu’on a inventé (depuis toujours, peut-on dire) le métier d’architecte : pour guider son client dans cette belle aventure qu’est la construction. C’est la maîtrise d’œuvre, elle doit être indépendante des entreprises. C’est la meilleure façon pour un client de mener à bien son projet.
      Le ccmi nie ce processus. Lors d’un ccmi, le client-néophyte n’a personne pour le guider face aux professionnels qui lui vendent les travaux. Le cmi vend la totalité des travaux (et, en général, des études), il est impliqué dans le prix de revient des travaux, bien évidemment, et son intérêt entre en opposition avec celui du client : à la seconde où le client signe le ccmi, son intérêt est d’en avoir « le mieux possible » pour le coût qu’il s’est engagé à payer, et à l’inverse, l’intérêt du cmi est d’obtenir le prix de revient le plus bas (qualité des matériaux, quantités et surtout, sous-traitants les moinschers possible) pour consolider sa marge. C’est antinomique.
      Voilà pourquoi, si j’attaque quelque chose, c’est le ccmi – et pas les personnes elles-mêmes, bien entendu.

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  2. Le bahutier

    Architecte - Métropole - 33000
    Salut JF,
    D’accord sur tes quatre points, je t’en propose deux autres :
    – le travail avec les particuliers est compliqué et difficile, il nécessite beaucoup de compétences pas enseignées dans les Écoles. C’est une spécialité qui doit s’apprendre, par exemple lors d’un Master en plus du diplôme DE, ainsi qu’en Centres de formations. Il faut que cela se passe quasiment toujours bien lorsqu’un particulier passe par un architecte.
    – et il faudrait que nous gagnions beaucoup de temps sur chaque phase pour pouvoir faire un travail de grande qualité sans augmenter nos rémunérations. Je suis convaincu que de nouveaux outils numériques peuvent nous permettre d’entrer dans un autre Âge, comme l’a été hier celui de l’industrie. Une nouvelle époque du métier, dans laquelle nous serons plus structurés et encore plus compétents, dans laquelle une partie d’entre nous vivra agréablement de la commande du particulier.
    À bientôt,

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    1. Jean Francois ESPAGNO

      Architecte - Métropole - 31100
      Oui, le travail avec les particulier est difficile, non pas à cause des bâtiments eux-mêmes, bien sûr, mais à cause du contexte : un client qui ne connaît pas bien son rôle de maître d’ouvrage, des artisans qui ne connaissent pas forcément toutes les règles de leur art ni le cadre juridique d’une opération de construction, etc. – d’où l’importance de l’architecte qui est alors au centre d’une telle opération, qui est le maître d’œuvre sur lequel tout le monde compte, et non pas un intervenant comme d’autres.
      Et notre pratique sur ce marché des Particuliers doit être adaptée, différente de celle pour les marchés publics, plus directe, plus efficace et plus simple, donc plus rentable…

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