Une densification participative

- par Jorge Lopez Foncea, architecte. Comment fabriquer la ville ?

La ville de Montreuil a organisé en partenariat avec l’Ecole d’Architecture de Marne-La-Vallée et la faculté d’urbanisme de la Brandenburg University of Technology Cottbus-Senftenberg, a organisé un atelier d’urbanisme afin de réfléchir et d’imaginer des stratégies pour le processus de mutation du haut-Montreuil. Voici la synthèse de cette réflexion.

« Existe-t-il des formes de ville qui produisent des effets démocratiques, qui donnent du pouvoir aux habitants au-delà des inégalités de formation et de fortune ? (…) Autre manière encore de poser cette question de fond : quelle organisation spatiale favorise, soutient le développement, la production de la culture individuelle et collective, des relations spatiales interpersonnelles, de la participation politique et de la production de la richesse ? Certaines formes de ville sont-elles plus que d’autres susceptibles d’aider aux dépassements des handicaps économiques et sociaux qui excluent une partie importante de la population de toute maîtrise sur elle-même et sur la société ? (…) Cette recherche de la liberté et de l’égalité suscite des conflits qui traversent la société globale et qui ont pour objet la ville elle-même. Mais la gestion des conflits est « urbaine » quand elle respecte les droits d’autrui. Dans la ville, l’éthique des conflits grands et petits s’appelle urbanité[1]»

Depuis quelques années, la densification de Montreuil s’intensifie. La mairie de Montreuil actualise ses outils de planification pour mieux orienter le développement urbain : le plan local d’urbanisme (PLU) est en phase de révision pour la troisième fois depuis 2012 ; une charte de construction durable encadre les nouveaux projets immobiliers ; certaines zones de forte spéculation ont été « gelées »… Ces outils permettent d’encadrer la qualité et la taille des nouvelles opérations mais ne peuvent pas contrôler leur rythme vertigineux, contraignant la ville à affronter les nombreux problèmes d’une densification précipitée du territoire.

Quand nous avons pensé pour la première fois au programme de cet atelier, notre objectif était de proposer des idées en vue de la révision du PLU. Ces idées devaient venir de la conception de projets issus d’une organisation participative des îlots. Rapidement, nous nous sommes aperçus que, pour parvenir à simuler l’évolution de l’îlot, il ne fallait pas faire de projets – au sens strict du terme – mais plutôt essayer de reproduire la démarche collective qui pouvait mener à ces projets.

Nous avons donc orienté notre réflexion sur la simulation d’une controverse entre riverains, chacun cherchant à imposer son propre projet de construction sur l’îlot. Cette situation nous paraissait plus riche et intéressante, mais aussi plus réaliste que de supposer qu’une seule idée pourrait faire l’unanimité. Enfin, cette démarche nous semblait nécessaire pour intégrer la présence de « l’autre » dans un processus participatif.

NEUF MAQUETTES

L’atelier a produit neuf maquettes, chacune avec une proposition de densification et une « bande sonore » qui transcrit une forme de récit. Ces propositions ne répondent pas à un besoin prédéfini mais à la simulation d’une hypothèse : l’organisation des habitants en vue de construire sur leurs terrains un projet commun issu d’une multitude d’initiatives, ou même plusieurs projets en conflit entre eux.

Les neuf propositions sont toutes différentes. Après la présentation des maquettes, nous avons mesuré l’impact de chacune des simulations sur la densité des îlots, en utilisant comme paramètres l’évolution du coefficient d’occupation des sols (COS)[2], de l’emprise au sol et du nombre d’habitants[3].

Sur l’îlot La Boissière :

  • Le groupe no1 conçoit un énorme jardin commun dans le centre de l’îlot (-12 % d’emprise au sol), mais il augmente le COS à 0,92 (+50 %) et triple la quantité d’habitants en construisant de nouveaux immeubles de trois étages maximum.
  • Le groupe no2 réorganise l’occupation des parcelles en lanières en transformant quelques parcelles d’activité en logements. Ceci leur permet – sans modifier le COS (+3 %) – de créer des jardins pour la majorité des nouveaux logements tout en multipliant par deux le nombre d’habitants.
  • Le groupe no3 construit au contraire une grande quantité de surfaces d’activités, ce qui se traduit par une augmentation importante du COS (+80 %). Cependant, l’augmentation démographique reste la moins importante des trois groupes pour ce site, ce qui semble un peu contradictoire.

Sur l’îlot Les Ruffins :

  • Le groupe no4, avec une controverse très polarisée, augmente l’emprise au sol (+25 %) et le COS (+65 %), mais en construisant essentiellement dans le cœur d’îlot qui devient extrêmement dense, tandis que les façades sur rue restent presque inchangées.
  • Le groupe no5 développe une apparente dé-densification en construisant des maisons sur pilotis et en dégageant le rez-de-chaussée qui devient un rez-de-jardin commun. En profitant du fait que l’îlot soit sur deux niveaux différents, ils creusent des patios au cœur des parcelles. Le résultat est un COS légèrement plus élevé (+10 %) et une augmentation de la population associée aux nouveaux immeubles (+40 %).
  • Le groupe no6 construit en hauteur – jusqu’à six étages par endroits –, ce qui lui permet de dégager beaucoup d’espace au sol (-20 % d’emprise au sol) et de créer un réseau de venelles et de patios « enterrés » en cœur d’îlot. Le COS augmente légèrement (+30 %) tandis que le nombre d’habitants est plus que doublé (+130 %).

Sur l’îlot Bel Air :

  • Le groupe no7 développe une stratégie avec deux typologies d’immeubles : bâtiments isolés ou autour d’une cour commune composée à partir des immeubles existants. L’emprise au sol varie légèrement (+11 %) ainsi que les hauteurs (trois étages maximum) alors que le COS augmente de 40 % et que le nombre d’habitants est doublé.
  • Le groupe no8 est la proposition la plus dense avec une démarche de construction en hauteur (six étages, COS de 1,45). Le résultat cependant n’est pas « massif », car les nouvelles constructions s’insèrent dans le parcellaire existant et sont aménagées « en terrasses ». Enfin, chaque immeuble est associé à des parcelles réservées à un usage de jardins ou potagers.
  • Le groupe no9 occupe 100 % de l’emprise au sol, car il décide de transformer l’ensemble des espaces extérieurs en serres, destinées à un usage de potagers, vergers et jardins. Une grande partie des rez-de-chaussée est destinée à des activités d’atelier, tandis que les surélévations ponctuelles sont occupées par des logements. Cette démarche « faussement dense » (car elle couvre des espaces semi-extérieurs, souvent en pleine terre) parvient à doubler la population de l’îlot en créant une surface d’activités importante.

Quelques comparaisons sont intéressantes, par exemple entre les groupes 1 et 8, ou bien entre les groupes 6 et 9, qui parviennent à des densifications semblables mais avec des approches presque opposées et sur des îlots complètement différents.

Une des conséquences positives des contraintes de l’exercice est que la plupart des stratégies ne partent pas des typologies architecturales possibles mais, qu’au contraire, les formes développées viennent répondre aux exigences des habitants et aux contraintes du site.

Enfin, bien que l’exercice ait obligé les étudiants à densifier les îlots en leur donnant en outre une totale liberté vis-à-vis du règlement, les simulations ne remplissent pas pour autant le gabarit maximal. Ceci montre qu’en l’absence de toute réglementation, les deux contraintes de l’exercice (la négociation entre les habitants et le parcellaire préexistant) s’avèrent suffisamment fortes pour modérer les propositions.

Sur les neuf propositions, trois ont un COS inférieur à 1, quatre ont un COS entre 1 et 1,2, et seulement deux propositions ont un COS plus dense : le groupe 8 avec un COS de 1,45 et une emprise au sol de 59 % (hauteurs maximum de R+5) et le groupe 9 avec un COS de 1,78 (avec la réserve déjà mentionnée au sujet des serres).

DÉVELOPPEMENT IMMOBILIER ET DIVERSITÉ

À la différence des conditions imposées dans l’exercice de l’atelier, le développement immobilier actuel se base essentiellement sur des contraintes de rentabilité qui se traduisent par :

  • la réunion des parcelles pour créer des unités foncières plus grandes, en annulant l’ancien parcellaire ;
  • l’achat aux riverains – qui souvent quittent les lieux – pour démolir et construire un nouveau projet à vendre.

La participation des habitants et la trame du parcellaire existant sont donc perçues comme des contraintes ; elles pourraient cependant enrichir considérablement la programmation et permettre de mieux dimensionner les projets.

La démarche immobilière actuelle cherche à être efficace, mais produit un résultat pauvre en termes d’usages, de formes et de mixité. C’est une méthode qui tend à être massive et rapide, surtout dans les territoires à forte pression immobilière. L’opération de remembrement du parcellaire – menée à grande échelle – provoque une forte discontinuité avec l’existant et la construction systématique de grandes surfaces. L’urbaniste Christopher Alexander appelle cette démarche « croissance par unités massives », par opposition à la « fragmentation de la croissance » : « Dans ce mode de croissance, l’environnement se développe par secteurs entiers. (…) Une fois construit, on considère qu’un bâtiment est « terminé » : il n’est pas intégré dans une longue séquence de réparations et transformations à venir. (…) Selon le point de vue de la croissance par unités massives, chaque acte de conception ou de construction constitue un événement isolé, « parfait » au moment de sa création et, dès lors, abandonné définitivement à lui-même par ceux qui l’ont conçu et bâti. Selon le point de vue de la fragmentation de la croissance, chaque environnement ne cesse d’évoluer et de croître, afin de préserver l’harmonie de son fonctionnement. La qualité de l’environnement réside alors dans une sorte d’équilibre instable, sans cesse rétabli au cours du temps[4]. »

Le remplacement de la totalité des habitants (en même temps que les bâtiments) constitue une forme de discontinuité qui freine l’apparition de nouveaux usages. Car, bien que la promotion immobilière « traditionnelle » puisse être alimentée par les exigences des collectivités territoriales et du PLU, elle ne pourra concevoir qu’une programmation en amont, contrainte nécessairement par l’étude financière. Les usages issus des habitants apparaissent par contre comme une conséquence de l’occupation prolongée des lieux. Pour transformer ces usages en une programmation, il faudrait plutôt élaborer un projet qui soit en continuité avec l’existant.

Enfin, le problème peut-être le plus complexe reste la spéculation foncière. Aujourd’hui, on observe des groupes de riverains qui s’organisent pour vendre ensemble dans le but d’obtenir le prix le plus élevé possible, c’est-à-dire déjà dans la logique du développement massif. En ce sens, c’est le prix de vente du terrain, fixé par les propres riverains, qui est à l’origine du dimensionnement (ou surdimensionnement) du projet.

DENSIFICATION PARTICIPATIVE

Comment pouvons-nous faire pour favoriser une densification progressive et offrir une alternative à ce développement immobilier qui envisage le parcellaire comme une feuille blanche à remplir ? Le parti pris de l’atelier sur cette question a été simple : densifier en évitant la vente des terrains.

Dans nos simulations, les projets sont développés directement par les propriétaires de parcelles, qui utilisent différents moyens pour réunir, céder ou partager leurs terrains en évitant la vente. Ceci débarrasse les projets du poids du coût du terrain, leur permettant d’être rentables sans avoir à construire le gabarit maximum. Il suffira que le prix de vente soit supérieur au prix de construction (études et frais compris) pour que le projet dégage une marge qui peut se traduire par un revenu économique, mais aussi par des surfaces habitables attribuées à la maîtrise d’ouvrage.

Cette démarche ouvre notamment la voie à la participation des habitants au développement d’autres types de programmes comme des salles associatives, des commerces de proximité, des terrains de jeux ou de sport, des petits équipements culturels de quartier, des espaces verts… tout ceci financé justement avec la densification du quartier.

Bien sûr, des habitants pourraient aussi agir dans le seul but de générer des bénéfices pour, ensuite, quitter le quartier. C’est aussi pour cela qu’il est important d’appuyer ces développements sur un réseau local, de retrouver une échelle de quartier, d’îlot, de rue : une échelle à laquelle les habitants du voisinage puissent négocier, se concerter, s’investir autour d’un projet, avoir le choix de participer autrement que comme consommateurs, mais comme acteurs avec un projet commun.

ACTEURS ET OUTILS

Quels seraient les outils minimums nécessaires pour aider les habitants à mener leurs propres projets ? Sur un territoire comme le haut Montreuil où le prix de vente dépasse déjà le prix de construction et sur lequel les nouveaux équipements de transport projetés ont propulsé rapidement la demande de logements, la rentabilité des projets est quasi assurée.

Les acteurs indispensables pour assurer la faisabilité de ces initiatives seraient :

  • une maîtrise d’ouvrage collective, constituée par un regroupement d’habitants ;
  • une maîtrise d’ouvrage déléguée (promoteur) ;
  • une assistance à la maîtrise d’ouvrage ;
  • une équipe de maîtrise d’œuvre.

À l’exception des propriétaires-habitants, il s’agit des mêmes intervenants qui réalisent aujourd’hui le développement immobilier. Le promoteur – maître d’ouvrage délégué – agirait seulement comme professionnel, et non pas comme investisseur. Sa présence peut paraître redondante à partir du moment où existe déjà une assistance à la maîtrise d’ouvrage, mais il faut un professionnel qui puisse s’occuper de la coordination générale du projet (économique, logistique, administrative). Le promoteur est aujourd’hui le professionnel qui assure ce rôle indispensable.

La base de ce type de projet étant les rapports entre riverains, il serait très important d’encourager la rencontre entre voisins, les discussions au sein des quartiers, et surtout d’informer les habitants des différents outils de négociation. Comme le signale Frédéric Bonnet, « Une plus grande attention aux règles de voisinage « qualitatives » suggère de développer des dispositifs contractuels qui permettent à la fois une négociation, une contractualisation et des compensations éventuelles – pas nécessairement financières. (…) Le contrat de cours communes, les droits de passage, le renoncement mutuel au recours sur certaines prescriptions d’urbanisme (…) sont des instruments disponibles. (…) Des formes plus simples de contractualisation, actant de mutualisation d’usages ou bénéfices (vues, jardins…), fixant au besoin des modes de gestion ou des compensations financières, pourraient voir le jour. (…) Certains processus mériteraient d’être actualisés et plus souvent utilisés. Les associations foncières urbaines, par exemple, permettent une mutualisation des droits à construire en modulant l’intérêt de chacun, plus encore dans leur version donnée par la loi Alur, sur la base d’un projet partagé (Afup)[5]. »

FINANCEMENT

Le système de financement ne devrait pas être très différent de l’actuel, basé sur la vente de surfaces construites. Ces ventes financent la construction et dégagent une marge qui peut se traduire en une surface réservée pour les maîtres d’ouvrage.

Du moment où il n’y a pas d’achat de terrain, le coût des projets sera beaucoup plus bas. Il faudra prévendre en « état de futur d’achèvement » le pourcentage du projet nécessaire à couvrir le coût de la construction, soit environ 80 % ou même 100 %, ce qui ne devrait pas poser de problèmes dans un territoire très convoité comme Montreuil. Dans ce cadre, il n’y aurait plus besoin d’emprunt car ce sont les prêts des acquéreurs qui financeraient le projet. L’équipe de professionnels (MOAD/MOE/AMO[6]) devrait assurer la faisabilité du projet et rassurer les acheteurs.

Enfin, une option très intéressante serait de mettre en lien les opérateurs-habitants et les groupes de logement participatif qui cherchent à faire de l’autopromotion. Ces groupes seraient en mesure de représenter les « nouveaux habitants » et d’amorcer un véritable dialogue de projet entre les opérateurs et les nouveaux habitants. Ces groupes utilisent souvent les services d’un promoteur pour couvrir le rôle de maître d’ouvrage délégué. Il serait essentiel de bien définir le rôle de l’opérateur-habitant dans le nouveau projet, pour lui permettre de donner son avis sans bloquer les souhaits du groupe d’acheteurs. Bien orientée et assistée, cette collaboration pourrait être la source d’un renouvellement urbain très intéressant : progressif, riche en usages et liens sociaux.

ÉCHELLE DES OPÉRATIONS

Quelle devrait être la taille maximale à développer ? La logique actuelle veut que plus l’opération est grande, plus elle sera rentable. Cependant, du moment où les opérateurs-habitants continuent de vivre sur la même parcelle, est-il souhaitable de réaliser des opérations massives ? D’autant que pour ces opérations, la rentabilité minimale est déjà assurée.

La question inverse est plus intéressante : à partir de quelle quantité de surface habitable vendue est-il possible de réaliser un projet à coût zéro ? Quelles seraient alors les tailles minimales des parcelles ? Nous avons simulé le rapport entre les coûts et les revenus de différentes opérations au regard de trois paramètres : les dimensions des parcelles, la conservation des immeubles existants et un COS de 1,2[7]. Une petite parcelle de 150 m² (75 m² de surface existante) dégage 15 m² de surface habitable contre la construction et vente de 105 m². À partir de 300 m² ou 600 m² de surface de terrain, les projets deviennent plus intéressants. Regroupant entre deux et quatre copropriétaires, ce qui les rend très plausibles, ils dégagent jusqu’à 90 m² de surfaces attribuables à de nouveaux usages et une rentabilité proche de 5 % (en plus de la surface réservée aux nouveaux usages).

Le but de ces opérations étant justement de pouvoir évoluer dans le temps, on pourrait imaginer que ce type de copropriétés devraient progressivement s’agrandir jusqu’à atteindre leur taille maximale. Quelle est cette taille ? À partir de combien de « maîtres d’ouvrage » la gouvernance des projets et des copropriétés pourrait devenir contre-productive et empêcher les groupes de se coordonner ?

Pour alimenter cette discussion, nous avons développé un tableau[8] qui montre l’évolution d’un projet réalisé sur un groupement de parcelles d’une surface totale de 600 m², c’est-à-dire entre deux et quatre parcelles avec une surface habitable existante estimée à 300 m², soit un COS initial de 0,5. Le projet, étalé en trois tranches sur dix ans, serait en mesure d’atteindre un COS de 1,7, soit 960 m² de surface habitable construite et 1 260 m² de surface habitable totale (environ quatorze logements compris les existants avant le projet). Chaque tranche construit trois ou quatre logements et autofinance 50 m² de surface à usage propre (salle commune, associative, de jeux, bureaux, commerces, etc.). Résultat final : 150 m² gratuits et une marge totale d’environ 4 %. Ce projet évolutif pourrait avoir un coût zéro pour les propriétaires qui investiraient sur leurs propres terrains et pourraient intégrer les nouveaux habitants, au fur et à mesure qu’ils arrivent, aux évolutions successives du projet.

PLAN LOCAL D’URBANISME

Le PLU peut-il aider à construire ces scénarios ? Peut-il encourager ces démarches collectives ? Est-il capable de favoriser une évolution progressive de la ville ? Renouvelé à trois reprises depuis 2012, chaque nouveau PLU a délimité un nouveau seuil : le maximum. Sous l’effet du prix du foncier, chaque nouvelle opération développera toujours le gabarit maximal possible. La densification participative imaginée par l’atelier pourrait aider à trouver une voie alternative. La ville peut utiliser le PLU et d’autres outils pour soutenir ce type de développement.

Les simulations réalisées dans l’atelier ne respectent pas nécessairement le règlement en vigueur. En revanche, elles explorent des possibilités de mutualisation de services (espaces verts, parkings, activités…), contractualisations ou compensations (vues, hauteurs, usages de sols, distancements…) tout en favorisant une densité progressive. Pour encourager la réalisation de ce type de développement, le règlement devrait mieux s’adapter aux conditions particulières de chaque projet : parcellaire, contexte bâti existant, programmes envisagés, négociations entre voisinage…

Les propositions réalisées par les étudiants du DSA d’architecte-urbaniste 2014-2015 pour un nouveau règlement de Montreuil[9] s’appuient justement sur l’idée de reconnaître les spécificités de chaque parcelle et de rendre plus souple et en même temps plus concrète l’application du règlement. Dans cette proposition, les treize règles deviennent treize cibles[10] dont il suffirait d’en remplir dix pour que le projet soit conforme. Des treize cibles proposées, cinq seraient optionnelles et huit obligatoires, dont notamment la « permanence du parcellaire » qui fixe un seuil au remembrement parcellaire au-delà d’une certaine surface pour la construction d’un seul projet. Ceci permettrait de conserver la diversité de formes de parcelles et donc d’architectures, de volumes et même d’usages.

Le PLU devrait récompenser l’intégration du bâti existant (ou d’une partie) dans les nouveaux projets, et davantage encore s’il s’agit d’opérations construites dans la durée, permettant « une plus grande sédimentation, des hybridations progressives, une complexité fonctionnelle et des complémentarités entre fonctions à l’image de ce qu’ont pu être, il y a plus d’un siècle et demi, les tissus de faubourg de nos villes[11] ». Les projets remplissant ces conditions devraient donc faire l’objet d’une lecture plus souple du règlement et peut-être même pouvoir s’affranchir de certains critères normatifs.

Il serait extrêmement utile de créer une échelle intermédiaire de sectorisation, entre les actuelles zones identifiées dans le PLU et les parcelles : une échelle qui reconnaisse les projets de « groupements de parcelles » et qui permette à travers ces projets de développer une mutualisation des services.

En dehors du cadre du PLU, la mairie pourrait aussi aider les propriétaires qui le souhaitent à se constituer en groupement en les informant des outils et démarches possibles comme l’association foncière urbaine de projet. Il serait aussi très utile de communiquer auprès des promoteurs pour les inciter à participer à ce type d’opérations.

Enfin, il serait nécessaire d’assurer un suivi des projets en vue de pouvoir évaluer leur impact dans la ville, rétro-alimenter les outils réglementaires, diffuser des programmes réussis et apprécier l’évolution des quartiers.

CONCLUSION

La mise en place d’une démarche de densification participative pose une longue série de questions que nous avons essayé de faire remonter à travers cet exercice, bien que nous ne soyons pas en mesure d’établir un répertoire exhaustif ni de répondre avec une méthode claire. Le but de notre atelier était d’explorer ces concepts, et par la même occasion de les porter à la connaissance des habitants.

Les propositions avancées ne visent pas à remplacer la démarche de développement immobilier actuelle, ni à susciter de nouvelles formes de gentrification. Nous voulons réfléchir à des méthodes alternatives permettant de densifier, mais progressivement, les quartiers soumis à une forte pression immobilière, en offrant en même temps des approches inclusives et participatives qui permettent aux habitants qui le souhaitent de s’investir dans le développement de leur ville.

Nous pensons que le développement urbain devrait nécessairement inclure « l’autre », à travers une controverse, une négociation ou une collaboration, car c’est justement la présence concrète de l’autre qui nous permettra de développer des quartiers participatifs : « La ville est l’accumulation des autres dans un même lieu. (…) Dans la ville, l’autre est physiquement présent par son corps. On ne peut le fuir aisément ; il rappelle sans cesse sa présence. Il peut lasser ou faire peur. On peut le rechercher pour ce qu’enseigne sa différence, pour, dans un sens, en tirer profit[12]. »


Jorge Lopez Foncea, architecte, chef de projet de l’Atelier

>> Pour en savoir plus : http://www.montreuil2017.com/

 

Annexe 1

Annexe 2

 

[1] René Schoonbrodt et Luc Maréchal, La Ville, même petite, Bruxelles, Éditions Labor, coll. « Quartier libre », 2002, p. 31-32.

[2] Le COS n’est pas utilisé ici comme une règle, mais comme un outil pour mesurer l’envergure des interventions : il doit donc toujours être mis en rapport avec le COS existant (voir la synthèse des plans par groupe).

[3] Pour les calculs de démographie, en l’absence des données propres à chaque parcelle, nous avons appliqué un ratio de 1,5 habitant pour 100 m² de surface habitable et mis cette estimation en rapport avec la surface de l’îlot.

[4] Christopher Alexander, Une expérience d’urbanisme démocratique : l’université d’Oregon, traduit de l’anglais par Robert Davreu et Amélie Petita, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Espacements », 1976, p. 71 et 76.

[5] Frédéric Bonnet, « Nouvelles manières de concevoir la règle d’urbanisme », Cahiers du DSA d’architecte-urbaniste 2014-2015, Concertation nationale pour repenser la conception du règlement des PLU. Partage du projet pour construire une règle adaptée à un territoire, Marne-la-Vallée, École d’architecture de la ville & des territoires, 2015, p. 26.

[6] MOAD : maîtrise d’ouvrage, dans ce cas « déléguée », c’est-à-dire le promoteur.

MOE : maîtrise d’œuvre, équipe composée par les architectes et les bureaux d’études techniques.

AMO : assistance à la maîtrise d’ouvrage, cabinet de conseil qui aidera les habitants à se constituer en groupement et définir leur projet commun, et assurera le lien entre eux-mêmes et le reste des acteurs professionnels du projet.

[7] Voir Annexe no 1 – Tableau comparatif des projets selon la surface de groupements de parcelles.

[8] Voir Annexe no 2 – Évolution d’un projet sur un groupement de parcelles de 600 m².

[9] Proposition réalisée par Laura Chérubin, Charles-Élie Delprat, Carla Deshaye, Hugo Marty. Voir « Montreuil : d’un guide morphologique vers une sélection de critères qualitatifs », Cahiers du DSA d’architecte-urbaniste 2014-2015, Concertation nationale pour repenser la conception du règlement des PLU, op. cit., p. 63.

[10] 1. Permanence du parcellaire / 2. Protection des commerces et du patrimoine / 3. Mixité programmatique / 4. Desserte par les réseaux / 5. Retrait-alignement / 6. Porosité-transparence / 7. Perméabilité piétonne / 8. Vues / 9. Double orientation des logements / 10. Ensoleillement / 11. Surface minimum plantée / 12. Jardin-cour-espace extérieur / 13. Stationnement.

[11] Frédéric Bonnet, « Nouvelles manières de concevoir la règle d’urbanisme », art. cit., p. 31.

[12] René Schoonbrodt et Luc Maréchal, La Ville, même petite, op. cit., p. 13.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *