Une sous-utilisation du potentiel des architectes

Comment fabriquer une ville responsable en maintenant un juste équilibre entre acteurs publics et privé ? Il y a indéniablement, de la part du politique, un abandon de pouvoir sur les questions urbaines qui participe d’une idéologie profondément mercantile jugeant qu’un marché régulant les intérêts individuels, produit  « naturellement » de l’intérêt public, mieux que le débat politique.

Dans ce contexte idéologique qui gangrène les hautes sphères de l’État, il est évident que l’intérêt pour une synthèse, sinon objective, du moins « intellectuellement honnête », des besoins publics dans le partage de l’espace urbain, devient tout à fait secondaire.

De même, la dimension créatrice dans la conception des espaces, la poétique urbaine, ce petit plus, sensible, qui rend la ville aimable et conviviale, n’est pas intégrée dans les logiciels de programmation soumis avant tout aux impératifs comptables.

Concrètement, s’il y a sans doute à toiletter la loi MOP en fonction des évolutions des professions de l’acte de bâtir, il s’agira de remettre le binôme « élu et architecte » au centre incontournable du dispositif de conception de la ville.  Le contournement spécieux des procédures prévues par la loi MOP qui vise à éviter le débat public sur l’utilité et la pertinence du projet ne sera plus admis. Il faudra penser le projet urbain et le projet architectural de telle façon que le cahier de charges soit l’expression d’une volonté politique responsable de l’intérêt public. Une fois l’intérêt public défini, c’est à la créativité des architectes d’en dessiner les espaces, et ensuite, seulement ensuite aux entreprises de réaliser. L’impatience de certains élus à vouloir le monument phare tout de suite et pour rien peut être désastreux pour la ville.

D’une façon générale, c’est « l’entre soi » des professionnels du BTP, laissés à leurs affaires, qui produit les dérives de l’acte de bâtir. Il faudra le faire dépendre d’un processus à 3 : élus/experts/citoyens, qui lui est préalable. D’abord cerner les besoins et élaborer les solutions avant et indépendamment de toute réalisation. La commande publique sur appel d’offre est un système juste pour peu que les critères de sélection soient équitables. Il n’y a pas lieu de le contourner.

Il y a en France une sous-utilisation du potentiel créatif des architectes, avec une mauvaise répartition de la commande qui aboutit à la création d’espaces ou de bâtiments conçus à minima de réflexion sur l’usage. C’est tout un pan de l’architecture courante qui est amputé d’idée, phénomène aggravé par l’informatisation de la CAO. Or la mutation écologique de la société, nous impose au contraire de valoriser la créativité formelle à pas seulement technique, pour répondre aux défis énergétiques, climatiques, et environnementaux d’aujourd’hui. Or les architectes valent mieux que d’être ravalés au rang de décorateurs de façades sur des systèmes constructifs qu’ils n’ont pas choisis.

Dans cet esprit, il y a place pour les architectes à développer le coaching auprès des services municipaux, des élus ou des associations d’usagers. Il y a sans doute une perte de savoir-faire, oublié dans les compressions de personnel et les services que ne rendent plus les DDTM dans les petites communes. Mécaniquement, la recherche d’une solution pertinente à la situation de l’existant, à la dimension territoriale énergétique et sociale, devrait permettre de réinjecter de l’intelligence sensible dans les projets. Ainsi on limitera le gigantisme malsain et inhumain des opérations en offrant la possibilité de marchés de prestation intellectuelle, à la taille des petites entreprises d’architecture.

Peut-être faut-il réfléchir à la définition d’un « architecte créateur » comme une option professionnelle sans compétence de maîtrise d’oeuvre. Ceci afin de libérer la créativité dans les petits projets sans aggraver les risques professionnels.

Ce texte est issu d’une réponse à un questionnaire adressé par le Conseil national de l’Ordre aux futurs candidats à l’élection présidentielle, il y a quelques semaines.

2 commentaires au sujet de « Une sous-utilisation du potentiel des architectes »

  1. Le bahutier

    Architecte - Métropole - 33000
    Tellement ravi que ce soit vous qui lanciez les premiers débats ! Bravo et un grand merci !
    D’accord avec presque tout votre texte, je me permets de réagir à la question de fin.

    À mon sens, si l’on veut « libérer la créativité dans les petits projets sans aggraver les risques professionnels », ce n’est surtout pas en créant un « statut d’architecte créateur sans maîtrise d’œuvre », divisant la mission de l’architecte par 2,5 comme le font si bien les promoteurs. Conséquences indirectes : déséquilibre offre/demande, accélération du dumping global, décrédibilisation des architectes qui ne savent plus construire donc plus dessiner autre chose que des façades, impossibilité des agence à pratiquer la R&D, puis même à se former, tension financière empêchant de réfléchir correctement, augmentation constante de la morosité des architectes à l’échelle européenne depuis … qu’elle est mesurée, etc.

    Non, pour ce faire, il faut tout simplement revoir un détail de la commande publique sur appel d’offre : la capacité d’un employé de maîtrise d’ouvrage à justifier, de manière indiscutable et simple, qu’une offre est plus qualitative qu’une autre, que son coût supérieur est justifié et qu’il va engendrer un coût global d’opération évidemment inférieur.
    Trouvez une manière juridique de justifier mathématiquement, juridiquement, de la qualité d’une offre sur vos projets en mapa et vous allez « libérer la créativité dans les petits projets sans aggraver les risques professionnels ». Trois ans après, vous pourrez constater une baisse du coût global de construction, puis 10 ans après, vous aurez les premiers chiffres de coûts d’exploitation bien inférieurs.
    Il est dommage que le financier freine la créativité et le bon sens, pourtant c’est le cas. Il arrive parfois qu’une procédure soit attribuée au second ou au troisième moins cher et non au premier, sur 100 à 200, mais c’est assez rare. Souvent, c’est parce que le moins cher est en train de fermer boutique…
    Le temps à passer sur une opération à presque doublé en 30 ans pendant que les honoraires sur les projets inférieurs au seuil des concours ont presque été diminués de moitié. Les architectes les plus débrouillards et créatifs sont partis. Ailleurs ou sur d’autres marchés. Il est devenu plus intéressant, plus agréable et plus rentable de construire des maisons pour des particuliers que des gymnases ou des salles polyvalentes.
    Il ne tient qu’à vous tous, qui décidez si l’argent public paye plus de béton ou plus de matière grise, d’inverser la tendance lorsque vous serez prêts.
    Prêts, les architectes le sont. Nous vous attendons.

    Au plaisir d’en débattre ? 🙂

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  2. Aaddaj Ghita

    Architecte - Métropole - 75007
    Débat très intéressant, qui mériterait qu’on définisse plus précisément le terme « créativité ».
    La créativité est-elle une recherche forcenée d’originalité et d’innovation. Et si oui, doit on toujours faire preuve de créativité ? Selon moi, l’architecture française contemporaine a pâti et pâtit toujours énormément de cette quête acharnée de créativité… quand elle se fait (bien trop souvent) au dépend de l’usage.

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