La ville, pour une approche multiple et sensible, attentive à tous

- par Michèle Barbé, architecte et Conseillère national de l'Ordre. Comment fabriquer la ville ?

Je partirais d’une définition classique donnée par l’historien Fustel de Coulange de la Cité Antique qui distingue la cité, c’est-à-dire la communauté humaine « association religieuse et politique », et la ville qui serait son corps physique, « le lieu de réunion », le « domicile » de cette association à la fois matérielle et symbolique. C’est donc une relation qu’il faut chercher entre d’une part la société et les hommes et d’autre part leur espace. C’est cette interaction qu’il faut déceler, indissociable de la relation entre les hommes eux mêmes et entre l’individu et la collectivité.

Je citerais Marcel RONCAYLO : « La ville n’est plus un objet : elle est un acte éducatif, éducation sentimentale, éducation de la sensibilité, apprentissage du territoire. Mais plus encore, l’apprentissage de la ville équivaut à apprentissage de la vie, à travers des images concrètes, les codes, la circulation permanente des sensations et des dires. Les générations passent à leurs successeurs une part de leurs expériences, comportements, récits, façons de voir et pratiquer la ville et, en premier lieu, de s’y situer. »

Alors, avec l’évolution des modes de vie, les transformations et usages des villes, le brassage des populations et le développement du numérique, quels échelons sont les plus féconds pour penser et aménager les territoires ? Quels rapports entretiendront demain les villes avec les territoires périurbains et ruraux ? Quels sont « les ingrédients » de ces territoires en devenir ? Comment les lieux gèreront les enjeux de la durabilité et les multiples défis sociaux et spatiaux (nouveaux usages, rapport aux périphéries, qualité du cadre de vie, gestion des vides et des pleins, place au numérique…) ?
Comment, à l’examen des modèles urbains empruntés aux métropoles peut-on penser les relations entre villes et campagnes ?
Enfin, comment l’art et la culture peuvent–ils être mobilisés pour transformer le paysage urbain et agir sur le bien vivre ensemble ? Comment les artistes peuvent contribuer à redéfinir et revitaliser les villes dans la diversité de ces espaces ?
Comment les réponses à ces questions produiront un « meilleur vivre ensemble » ?

Devant cette complexité de questionnements qu’implique la « fabrication » de la ville, il convient d’organiser dans chacun des cas la hiérarchie des choix appropriés à la situation. Cela suppose de dégager les lignes prioritaires pour aller à l’essentiel. Les évolutions urbaines ne dépendent pas que des constructions nouvelles, il est important que les projets urbains englobent les quartiers existants, « le déjà là », le contexte.

Il faut aussi raisonner sur la ville par rapport à ce qui n’est pas la ville.
Les anciennes limites des villes sont dépassées par l’étalement urbain. Aux abords des espaces habités, la spéculation foncière produit des situations dégradées notamment en ce qui concerne les terres agricoles. Le développement de la demande des circuits courts devrait initier un nouveau statut pour inscrire l’agriculture périurbaine dans une coopération avec la qualité des paysages tout en s’inscrivant dans une réalité économique.
Il serait souhaitable de mieux savoir articuler les emprises construites, les infrastructures, les espaces ouverts de l’agriculture et les sites naturels.

Les divergences des intérêts entre habitants, collectivités, propriétaires, constructeurs ont justifié l’édiction de règles de construction et d’urbanisme. Leur complexité sans cesse accrue a fini par desservir ce pourquoi elles ont été édifiées.
Aussi, le processus de simplification initié dernièrement lors de la loi CAP devra se poursuivre, pour laisser plus de part à l’innovation en vue de répondre aux enjeux d’aujourd’hui.

La complexité des processus actuels, l’emprise croissante des dimensions économiques, techniques, politiques et organisationnelles, font de la fabrication de la ville une œuvre collective dans laquelle le rôle de l’architecte continue d’avoir du sens. Ce sens s’exprime entre la demande sociale et la construction de l’espace architectural et urbain. Il demande une culture de projet, une culture de la transformation et non seulement de l’opérationnel, une culture de l’invention et non seulement de l’application.
De nombreux exemples de projets innovants voient le jour en France et dans le monde.
Découvrons-les et faisons les connaître pour aider les élus à construire la stratégie à mettre en œuvre pour construire leur ville.

Le développement des territoires, la fabrication de la ville ne peut être réduit à une banalisation formelle et matérielle inhérente au système économique et politique, aux logiques commerciales, industrielles et financières.
Les différents acteurs du projet doivent dialoguer ensemble et avec les habitants en vue de leur apporter un cadre de vie dont la qualité contribuera à leur bien être et à la paix sociale.

C’est sur ce plan que l’architecture est confrontée à un véritable enjeu politique.

Michèle Barbé, architecte et Conseillère national de l’Ordre

Un commentaire au sujet de « La ville, pour une approche multiple et sensible, attentive à tous »

  1. rolland

    Habitant(e) - Ville > 50.000 habitants - 20000
    L’allant de notre consoeur l’honore. Mais il est en fait trop tard. En tout cas trop tard avec les remèdes et le mode opératoire qu’elle propose. L’usage obsolète du mot ville dans le contexte actuel même si les citations pour la définir sont plaisantes en est le symbole. L’évocation de hiérarchies, d’un ethos bienveillant et durable pour rameuter toutes les lumières à la mode sont également invalidées. Il s’agit encore de pérenniser le système, lui ravaler la façade, le rendre un peu plus supportable pour qu’il se poursuive.
    Des questions, un zeste d’utopie à la sauce philosophique pour faire passer ce qui est au bout du rouleau avec des hommes éreintés en bout de ligne sans liberté sinon celle qu’on leur vend au titre de consommateurs, moulinant contre les spectres omnipotents invisibles et innommés et innommables (l’actionnariat mondial) dont les pouvoirs publics relaient placidement les diktats ou avec zèle et dont l’UE apparaît comme le fer de lance.
    La ville (ce qu’elle serait, pourrait être ) chère consoeur, c’est par l’activité en son sein, avec le projet de communauté qui la porte qu’elle se définit; par la fluidité des mouvements vers cette place effective et symbolique propres aux installations premières qui l’ont vu naître en des temps et des lieux différents dans l’histoire des communautés humaines. Et d’abord dans une relation forte avec le contexte immédiat de son dehors – car la ville c’est effectivement l’instauration d’un dedans et donc d’un dehors, d’une forêt originelle – l’existence d’un « fora ».
    Cela recèle un rapport fondamental à l’échelle du territoire-terroir lien fondamental à l’échelle de l’homme – avec un petit h. De la grandiloquence de l’Histoire et de l’Homme avec leur grand H il faut faire fi. Le penchant des urnes du 7 mai 2017 indique que nous n’allons pas en prendre le chemin. Le changement de paradigme n’est pas pour demain et nous architectes nous allons nous aBIMer encore servilement, mis en responsabilité de cautionner des modes opératoires disjoints d’une appréhension fine et idiomatique dont pourtant nous sommes les récipiendaires. Nous serions si les (r)enseignements qui nous forment depuis 50 ans ne vidaient pas toujours plus notre métier de sa substance et de son caractère de charge pour en faire une pratique entreprenariale mercatique qui nous absout de mettre en culture et en lieu.

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